Image par Nyiaz Karim
Cette année, la Russie aura du mal à subvenir aux besoins de l'Europe en céréales. La récolte n'a pas été mauvaise uniquement aux États-Unis et au Canada. Elle l'a aussi été en Russie. À l'origine, les prévisions de production étaient d'environ 90 millions de tonnes. Mais dans les faits, la production tourne autour de 68 millions. Sachant que la consommation intérieure de la Russie atteint désormais 75 à 77 millions de tonnes, rien ne pourra être exporté. Peut-être même faudra-t-il faire appel aux importations.
Regardons ce qu'il en est plus précisément. La principale région exportatrice russe est le kraï de Krasnodar, le « grenier de la Russie ». Ici, les récoltes ont été divisées quasiment par deux par rapport aux prévisions. Neuf millions de tonnes de céréales étaient attendues, seulement cinq millions ont été récoltées. La priorité est maintenant de trouver un moyen de garantir la consommation intérieure du pays. L’exportation attendra.
Malheureusement, aujourd'hui, la Russie ne peut se prévaloir d'une position inébranlable sur le marché mondial des céréales. Et la crise alimentaire qui sévit actuellement aggrave cette situation. Il est intéressant de constater qu'aux Etats-Unis, par exemple, la question de la sécheresse fait l'objet d'une vive attention et a quasiment été déclarée catastrophe nationale. Au contraire, en Russie, les mauvaises récoltes sont peu abordées. En fait, c'est exactement l'inverse qui se produit. Il est difficile de dire avec certitude pourquoi la sécheresse est aujourd'hui l’un des problèmes majeurs aux États-Unis. Les élections présidentielles qui se profilent n’y sont vraisemblablement pas pour rien.
Cependant, ni les États-Unis, ni le Canada ne sont menacés par la crise alimentaire. Les deux pays bénéficient de stocks de céréales de transition. Les États-Unis ont plus de 50 tonnes de grains en réserve. Cela signifie qu'en cas de crise sévère, ils n'auront qu'à lever les scellés pour garantir la demande intérieure.
La Russie n'a pas cette possibilité. Durant de nombreuses années, les Russes ont tenté de constituer ce type de réserves, mais elles n'atteignent que cinq millions de tonnes à ce jour. Si bien que la crise est beaucoup plus palpable du côté de Moscou, même s'il ne faut pas s'attendre à une tragédie. Avec une production de 68 millions de tonnes, des réserves de cinq millions de tonnes et une demande de 77 millions de tonnes, le déficit est de quatre à cinq millions de tonnes. Ce qui se trouve sur le marché mondial, mais il faudra y mettre le prix. Et, bien sûr, cela se répercute sur les consommateurs. Les prix des céréales ont déjà augmenté en Russie : dans plusieurs régions, ils ont presque été multipliés par deux.
Il est évident que cette mauvaise saison transformera le marché international des céréales. Mais malheureusement, pour la Russie, le changement sera négatif : le pays va plonger tandis que les États-Unis et le Canada, malgré les tensions climatiques, vont se détacher encore un peu plus. Tout simplement parce qu'ils ont des réserves, contrairement à la Russie.
Par ailleurs, la seule chose qui empêche la Russie de prendre le leadership, c'est le facteur humain, c'est-à-dire le manque de professionnalisme ou la mauvaise volonté. Objectivement, le pays dispose de toutes les ressources nécessaires. Aujourd'hui, la Russie étale plus de 120 millions d'hectares de terres arables. Si on retire les terres qui nécessitent d'être mises au repos après une exploitation prolongée, on atteint environ 100 millions d'hectares. Le rendement minimal est de 30 quintaux par hectare par an. Soulignons que le rendement minimal est un indice étrange, pour l'Europe.
Ce qui signifie donc qu'une exploitation même maladroite des terres en Russie devrait produire 300 millions de tonnes par an. Dont deux tiers de céréales. La Russie a donc les capacités de produire 200 millions de tonnes de céréales par an. Avec une demande intérieure de 80 millions de tonnes, cela laisse encore plus de 100 millions de tonnes de céréales « excédentaires », qui peuvent être exportées. À titre de comparaison, la saison dernière, les États-Unis, leader mondial, en ont exporté 73 millions de tonnes, suivis par l'Argentine, avec 32 millions de tonnes, puis l'Ukraine, avec 24 millions de tonnes, et enfin la Russie et le Canada qui ont exporté chacun 20 millions de tonnes de céréales.
Mais pour atteindre le chiffre de 100 millions de tonnes, il reste beaucoup à faire. Depuis la chute de l'URSS, les terres arables ne sont pas pleinement exploitées. Les raisons sont nombreuses, mais les raisons objectives le sont moins. Mais les faits sont têtus ! Ces dernières années, le ministère russe de l'Agriculture a été doté d'une ministre issue de l'industrie pharmaceutiqueElena Skrynnik, qui n'a jamais été agronome. Qui plus est, le développement agricole n'a pas été considéré comme une priorité de la politique économique. Peut-être cela va-t-il fortement évoluer à l’avenir. Un nouveau ministre de l'Agriculture a été nommé il y a peu, Nikolaï Fedorov. Il a longtemps été à la tête de la république de Tchouvachie, où le développement de l'agriculture a été l'un des principaux objectifs des autorités locales. Et le succès a été au rendez-vous. Cette nomination indique vraisemblablement que Moscou veut accorder plus d'attention à l'agriculture.
En outre, le « bénéfice » potentiel pour le PIB d'un développement de cette branche n'est pas négligeable. 200 millions de tonnes de céréales, au cours actuel, ce sont environ 48 milliards d’euros, ou 1,5 % du PIB de la Russie. Si on compte également tous les bénéfices induits par le développement de l'agriculture et des secteurs voisins (logistique, production et maintenance du matériel, production d'engrais...), l'effet est démultiplié. Sans parler des dizaines de milliers d’emplois créés.
Alexandre Tchetverikov est député à la Douma nationale, membre du comité pour la politique économique. Il est le créateur de l'une des grandes compagnies agricoles russes, Agrokholding.
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