Crédit photo : Rouslan Soukhouchine
Crédits : Rouslan Soukhouchine
Ce n’est pas en vain que le projet d’exposition interactive du musicien Piotr Aidu et de son « laboratoire musical » s’intitule ReConstruction du bruit. Il s’agit d’une double reconstruction : dans un premier temps, des instruments conçus par Popov pour les bruitages au théâtre et reconstruits entièrement à la main, dans un deuxième temps, des sons de la vie, qui peuvent être recréés par tous grâce à ces outils en bois et en métal. C’est ainsi que les organisateurs de l’exposition entendent nous montrer une des nombreuses expériences sonores qui ont vu le jour pendant la période de l’avant-garde russe.
Pour le groupe artistique « le laboratoire musical », créé en 2008 par Piotr Aïdou, cette expérience musico-historique en suit beaucoup d’autres. Le groupe s’intéresse aux expériences musicales soviétiques utopiques et moins utopiques. En Novembre 2010, ils se sont produits à Lyon, au festival d’art Sibérie inconnue.
Environ 70 des quelques 200 « machines à bruit » conçues par Popov (1889-1968), destinées au théâtre puis réutilisées par les premiers cinéastes, sont à la disposition du public dans quatre salles. Une salle pour le transport, où l’on peut frotter des planches de bois et métal avec des bâtons pour reproduire le bruit du train à vapeur, une pour la nature, où l’on peut tourner la manivelle d’un tambour en bois rempli de copeaux pour créer l’illusion sonore parfaite de la pluie qui tombe, une salle consacrée à l’industrie pour imiter des bruits d’usine, et une dernière aux champs de bataille, où il faut frapper des feuilles d’acier avec des marteaux pour imiter le bruit des épées et boucliers.
La réaction des visiteurs ? Konstantin Doudakov-Kachouro, l’organisateur qui s’occupe de la recherche scientifique du projet, raconte qu’un mois et demi après l’ouverture de l’exposition (qui a lieu du 27 juin au 16 septembre 2012), il y a plus d’instruments cassés que d’instruments intacts. Même les dispositifs jugés incassables y sont passés. « Le bruit peut avoir une influence imprévisible sur les gens et les rendre primitifs », affirme Doudakov-Kachouro. Et ces visiteurs sont enchantés par une exposition aussi interactive et peu répressive (il n’y a, en effet, aucun surveillant, tant le bruit est assourdissant) mais également si instructive. Chaque instrument est documenté des textes de Popov expliquant son usage pour le théâtre. Par exemple, le chant d’un grillon est joué différemment en fonction du dramaturge qui est mis en scène. « Pour les pièces de Tchékhov, le son doit être lent, triste, tandis que pour une pièce de Dickens, il aura du caractère et sera joyeux », écrit Popov.
Popov, qui était aussi acteur, a inventé ces instruments pour reproduire, au théâtre, le son de l’automobile, du tank, du bateau, de la grenouille, de la mer, du tonnerre ou encore d’un homme qui tombe dans l’eau. Dès les années 1910, les spectacles du Théâtre d’art de Moscou (MKhAT) trouvent un nouvel écho grâce aux dispositifs de Popov. Mais ces instruments de bruitage sont aussi utilisés par la suite au cinéma et à la radio. Eisenstein a ainsi fait sonner ses boucliers dans son film Alexandre Nevski (1938). Une scène de combat du film en question est projeté sur le mur dans la salle consacrée à la bataille et le spectateur peut lui-même devenir le bruiteur du film à l’aide des appareils à disposition.
Le but de l’exposition, selon Konstantin Doudakov-Kachouro, est atteint : ils ont réussi à reconstruire des appareils qui n’existent plus et à montrer que le bruit est un phénomène culturel. Sortir ces instruments de l’oubli pour les placer dans un contexte où l’art, le théâtre et les bruits, cette musique du quotidien, ne font plus qu’un est l’ambition de ce « laboratoire musical ».
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