La Russie, maître de l'aluminium

Sayanal est la seule usine de Russie produisant du papier aluminium et des emballages flexibles à base d'alu. Crédit photo : Kommersant Photo

Sayanal est la seule usine de Russie produisant du papier aluminium et des emballages flexibles à base d'alu. Crédit photo : Kommersant Photo

En matière de production d'aluminium, la Russie est aujourd'hui un leader mondial, devancé uniquement par la Chine. Toute la production est contrôlée par l'entreprise Rusal, propriété de l’oligarque Oleg Deripaska. Après avoir été en Khakassie, le correspondant de Kommersant Dengui Alexeï Boïarski a découvert pourquoi les usines russes ne pouvaient rien produire de plus complexe que la feuille d'aluminium.

Le fait que la Russie soit l'un des principaux exportateurs mondiaux d'aluminium (3,4 millions de tonnes en 2011) est considéré comme une évidence. Pourtant, un lingot d'aluminium est bien est plus complexe à produire qu'une matière première pure et simple. Contrairement au pétrole ou au fer, la Russie est loin de posséder de riches réserves de minerai d'aluminium. La fusion de métal est un processus gourmand en énergie : la part de l'électricité dans le coût de l'aluminium atteint en moyenne 35 %.

Dans de telles circonstances, les leaders de l'industrie sont les pays possédant des sources d'électricité bon marché : de puissantes centrales hydroélectriques, à côté desquelles on construit des alumineries. Le minerai peut être importé de l'autre bout du globe. Par exemple, les usines russes travaillent avec ​​de l'alumine provenant de bauxite produite en Afrique, en Amérique latine et en Australie. L'Oural possède un gisement de bauxite, mais en raison de la complexité de son exploitation et de la faible qualité du minerai, il est moins cher d'importer de la bauxite de Guinée, où elle est extraite à ciel ouvert.

Selon des considérations purement économiques, on pourrait penser qu'une fonderie d'aluminium et la centrale hydroélectrique l'alimentant devraient être construites au plus près des ports maritimes. En URSS, se souvenant de l'évacuation des usines dans l'Oural pendant la guerre, les autorités ont cherché à implanter l'industrie stratégique loin des frontières. C’est la cas de l'usine d'aluminium de Saïanogorsk, fondée en 1985, qui est située à côté de la centrale électrique Saïano-Chouchenskaïa en Khakassie, à 100 km d'Abakan, la capitale régionale. Saïanogorsk était une ville propre, rappelant une cité-dortoir de Moscou des années 1970.

L'agitation visuelle dans les entreprises d'Oleg Deripaska est presque une copie des affiches de propagande et des slogans soviétiques, avec une pointe de dérision. Les affiches fraîchement imprimées, « Des millions de tonnes d'aluminium de plus pour la Patrie », « Le plan c'est la loi, sa réalisation c'est la norme! » et « Notre force est dans notre fusion » ( jeu de mot : en russe « fusion » ressemble à « slip de bain », ndlr) sont amusantes sur fond d'équipement moderne.

Nous commençons l'inspection avec l'Usine d'aluminium de Saïanogorsk (SAZ) : le principe technologique général est illustré à merveille par de l'équipement ancien. On enfile une salopette, un casque, des lunettes et des respirateurs. On laisse téléphones mobiles et montres aux vestiaires : le champ magnétique dans l'atelier d'électrolyse est si puissant qu'il peut détruire non seulement l'équipement électronique, mais aussi une montre mécanique.

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Selon le directeur général de la fonderie SAZ et de l'Usine d'aluminium de Khakassie (KhAZ) Anton Savtchenko, plus de 95 % de la production des deux usines (836 000 tonnes par an) est composée d'aluminium et d'alliages de haute qualité. A côté des piles de lingots d'aluminium, j'aperçois d'énormes barres et colonnes cylindriques d'aluminium d'environ cinq mètres de long. Selon le chef du Département de la fonderie Andreï Lyssov, la forme et le poids des produits en aluminium varient en fonction des besoins du client : des lingots de 7 kg jusqu'aux barres de 20 tonnes. Plus de 80 % de la production est réalisée sur commande. L'usine produit des structures de chantier ainsi que des pièces de véhicules et d'avions. 97 % du volume est exporté : l'industrie aéronautique russe est largement devancée par l'Ouest, tout comme l'automobile.

Au-dessus du fauteuil de Guennadi Gamanovitch, directeur de l'usine de feuilles d'aluminium Sayanal, se dresse un portrait d'Oleg Deripaska. Le sélecteur posé sur la table transmet à tour de rôle les rapports des chefs d'unité : « Au cours de la dernière journée aucune violation. Travail conforme au plan ». On dirait l'appel au service militaire. Nous descendons vers l'atelier de fonderie des feuilles. Juste en face de l'entrée, je remarque un portrait encadré sous la devise « Cet homme est responsable de ta sécurité ». C'est encore Deripaska, probablement. Mais en me rapprochant du cadre je vois mon reflet : l'avertissement verbal surplombe un miroir.

Selon Guennadi Gamanovitch, la production de feuilles d'aluminiuù est de 3 à 3,5 tonnes par mois, et 55 % sont exportés, principalement vers l'Europe. Le contrôle de qualité est omniprésent, l'usine accueille même de temps en temps un rabbin, pour vérifier l'absence de graisses animales dans la lubrification des mécanismes. Sans ses conclusions, les fabricants d'aliments casher ne peuvent pas utiliser l'emballage d'aluminium. Emporté par son récit, alors qu'il cherche à démontrer le caractère écologique et la pureté des produits, M. Gamanovich déchire un morceau d'un énorme rouleau d'aluminium et commence à le mâcher.

Sayanal est la seule usine de Russie produisant du papier aluminium et des emballages flexibles à base d'alu. Dans le musée de l'usine, on nous montre les emballages destinés à des dizaines de marques connues de chocolat, de glace, de médicaments, de cigarettes. Comme le souligne M. Gamanovitch, afin d'économiser de l'argent, les compagnies de tabac ont commencé à renoncer à l'aluminium dans les paquets en faveur du papier, ce qui va sans aucun doute affecter la préservation de la saveur des cigarettes. Mais dans l'ensemble, le marché du papier aluminium est en hausse : les fabricants de produits alimentaires préfèrent de plus en plus les emballages métalliques. Le leader de la feuille est aujourd'hui la Chine, qui compte une cinquantaine d'usines spécialisées.

Tant que les prix mondiaux de l'aluminium étaient relativement élevés (lors du pic de 2007, l'aluminium coûtait 3 000 $ la tonne), il était possible de survivre avec des technologies antédiluviennes. Puis, vint la crise économique : la demande a chuté et, en 2009, le prix s'est effondré à près de 1 000 dollars la tonne. Les volumes de production d'aluminium primaire de Rusal ont diminué en 2009 de 11 % seulement par rapport à 2008. Mais, comme on peut aisément le deviner, le maintien des volumes de production a provoqué des pertes. Dans cette situation, de nombreuses usines dans le monde ont fait faillite.

Actuellement, la demande est en hausse, le cours moyen en bourse depuis le début de l'année 2012 est d'environ 2 000 $. Mais beaucoup d'usines dans le monde travaillent à la limite de la rentabilité. Rusal ne dévoile pas les gains et autres indicateurs financiers de ses différentes usines, mais selon les dirigeants, de nombreuses usines du groupe sont déficitaires.

D'ailleurs, l'économie du holding est conçue de telle sorte que le principal facteur est l'électricité bon marché. Dans ce domaine, Rusal n'a pas d'égal. Au cours des dernières années, il a réussi mieux que tous les autres groupes industriels à résoudre la question des tarifs : par exemple, l'entreprise a réussi à affranchir en justice l'usine de Krasnoïarsk des consignes de l'État qui appelait à connecter les installations industrielles à l'électricité chère de MRSK (Compagnie interrégionale des réseaux de distribution), et non à la compagnie FSK bon marché (Compagnie fédérale des réseaux). Rusal possède une part dans la société énergétique Irkutskenergo, ce qui lui permet de fournir les usines situées à proximité en électricité bon marché.

Les personnes familières avec les particularités de la relation entre les producteurs d'aluminium et l'énergie affirment que les concepts de contrats directs et de ristournes de gros ont depuis belle lurette sombré dans l'oubli, comme celui de « tolling ». Les réformes sont plus lentes que l'écoulement de l'eau dans le fleuve Ienisseï. Et comme l'eau coule, ne pas produire d'électricité grâce à cette eau coûterait plus cher qu'en produire, et il convient donc de la vendre au prix fixé par le principal acheteur. Ce fondement de l'existence du secteur russe de l'aluminium a, quant à lui, peu de chances de bouger un jour.

Article original sur le site Kommersant Dengui.

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