Une saison russe en France

Scène du spectacle « Les Noces » mis en scène par le chorégraphe belge Stijn Celis. Crédit photo : Roland Lorente / Grands Ballets

Scène du spectacle « Les Noces » mis en scène par le chorégraphe belge Stijn Celis. Crédit photo : Roland Lorente / Grands Ballets

Tandis que les artistes russes sont de plus en plus réputés à l’étranger, le répertoire – que ce soit dans le théâtre, l’opéra ou la danse – semble être figé à la frontière du XIXe et du XXe siècles. La saison 2012-13 réserve néanmoins quelques jolies surprises.

Mais qu'ont-ils tous avec La Mouette?

Cette saison, ce ne sera pas juste une Mouette, mais plutôt Les Oiseaux de Hitchcock tant les versions de la pièce de Tchekhov sont nombreuses : pas moins de quatre versions théâtrales en Franceet deux films dans les cartons des producteurs américains ! « Peut-on vivre sans l'art ? » « Qu'est-ce qu'un artiste? » À l'heure où la place de la culture se rétrécit comme une peau de chagrin, ces deux questions essentielles posées par la pièce en 1896 tourmentent de nouveau les metteurs en scène. Entre l'institutionnalisation de l'art et l'évolution des goûts du public vers toujours plus de divertissement, qu'advient-il de la liberté de l'artiste ?

C'est du moins le questionnement d'Arthur Nauzyciel dont La Mouette a été présentée en clôture du Festival d'Avignon cet été et qui sera en tournée dans toute la France dès le mois de septembre. Traitée comme une descente aux enfers d'un artiste (le spectacle commence d'ailleurs par le suicide de Tréplev), la pièce se penche sur la nécessité d'un nouveau théâtre pour échapper à la « dévastation politico-culturelle » qui, selon le metteur en scène, caractérise notre époque. À ce spectacle audacieux jugé « prétentieux » et « décevant » par la presse, d'aucuns préféreront une autre réécriture de la pièce, Los hijos se han dormido de l'argentin Daniel Veronese, qui continue sa tournée en France après sa création au Festival d'automne à Paris en 2011. Le spectacle, resserré par Veronese autour des quatre protagonistes, explore les liens qui unissent La Mouette à Hamlet de Shakespeare. La version de Christian Benedetti, unanimement saluée par la critique et plus proche de l'esprit de Tchekhov, sera reprise à l'automne au Théâtre de l'Athénée à Paris, en alternance avec Oncle Vania.

Enfin, en novembre, ce sera le tour de Frédéric Bélier-Garcia de réinventer La Mouette  dans une très attendue mise en abîme familiale : le metteur en scène y dirigera sa propre mère (Nicole Garcia) dans le rôle d'Arkadina (le spectacle sera créé à Angers, puis partira en tournée).

De Tchekhov à Gorky, des allers-retours entre deux fins de siècles

Si Franck Vercruyssen, créateur du collectif néerlandais tg STAN, n'avait pas choisi Les Estivants de Gorky, pièce déjà brillamment mise en scène par Eric Lacascade il y a deux ans, c'est une cinquième version de La Mouette qu'aurait présentée la troupe ! Cette saison verra la création de la version française de ce très beau spectacle à Toulouse, Nîmes, Strasbourg et Paris. Dans Les Estivants, des amis, tous membres de la bonne société, se retrouvent l'été dans une datcha où ils ne font que parler d'éducation, d'amour et de littérature…

De la fin de l'ère de la culture classique dans La Mouette et Les Estivants, il n'y a qu'un pas au rêve d'un monde perdu évoqué dans Les Trois Soeurs, dont la Comédie Française reprendra la mise en scène faite par Alain Françon et dont la version hongroise d'Attila Vidnyánszky sera accueillie par le Théâtre National de Strasbourg. Ces échos de fin de siècle traversent ainsi toute la France et se concentrent sur des pièces décrivant des mondes sur le point de disparaître. Prémonitoire ?

Quoi de neuf ?

Mais c'est en dehors du tandem Tchekhov-Gorky que l'on trouve les événements les plus marquants de la saison. La rentrée d'Oblomov au répertoire de la Comédie Française est ainsi d'une importance majeure. Là aussi, la réflexion du metteur en scène est nourrie par l’actualité : le metteur en scène Volodia Serre se servira du roman de Gontcharov pour s'interroger sur la pertinence du modèle de développement occidental. La croissance doit-elle être le moteur de notre civilisation ?

Ce sont aussi des metteurs en scène russes qui font leur entrée sur la scène dramatique française. Dmitry Tcherniakov, l'un des metteurs en scène d'opéra les plus en vue en Europe, signe ici sa première mise en scène de théâtre en dehors de la Russie. Et ce n'est point au répertoire russe, mais à Phèdre de Racine que s'attaquera le metteur en scène connu pour ses révisions des classiques, ce qui, conjugué à la modernité de ses mises en scène, est une réelle audace pour la Comédie Française.

Au Théâtre de la Ville, c'est un metteur en scène ukrainien, Vladimir Troitski, qui se confrontera à une autre vache sacrée du répertoire occidental : Le Roi Lear, le prologue, qui sera donné en parallèle avec un spectacle d'après le Vii de Gogol. Là aussi, on retrouve deux mondes en train de disparaître, celui de l'Ukraine rurale dans laquelle est transposée l'intrigue du Roi Lear, et celui, fantasque, du Vii, entre la mystique païenne et chrétienne. Entre Tchekhov en espagnol et en hongrois et Shakespeare en ukrainien et en français, le théâtre est devenu un tout petit village… global.

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Opéra

À l'opéra en revanche, la tradition veut que l'on exécute les œuvres dans la langue dans laquelle elles ont été écrites. C'est ainsi que, pendant près de vingt ans, les chanteurs russes, bien que se produisant sur les meilleures scènes du monde, y restaient le plus souvent cantonnés au répertoire russe. Cette tendance prévaut encore, avec notamment La Khovantschina dans la très traditionnelle mise en scène d'Andrei Serban à l'Opéra de Paris et une nouvelle création de la plus rare Iolanta de Tchaïkovsky à l'Opéra de Lorraine et à l'Opéra-Théâtre de Metz, les deux spectacles réunissant des distributions entièrement russophones.

Mais les chanteurs russes ont depuis longtemps réglé les problèmes de prononciation et de style, et sont de plus en plus sollicités pour d'autres répertoires. C'est ainsi qu'Olga Peretyatko et Dmitry Korchak se produiront dans I Puritani de Bellini à l'Opéra de Lyon et au Théâtre des Champs-Elysées, tandis que l'on pourra entendre, à l'Opéra de Paris, Ekaterina Siurina dans The Rake's progress, Elena Tsallagova dans Falstaff ou encore Evgeny Nikitine dans Le Crépuscule des Dieux.

À l'inverse, à l'Opéra de Bordeaux, ce sont des chanteurs français qui créeront, en russe, le nouvel opéra du compositeur franco-argentin Oscar Strasnoy, Sluchaï, d'après l'oeuvre de Daniil Kharms.

Les Ballets Russes : les cent ans du Sacre du Printemps

Côté danse, la saison sera marquée par le centenaire de la création du Sacre du Printemps de Stravinsky qui avait fait scandale en 1913 à l'occasion des célèbres Ballets Russes de Serge Diaghilev au Théâtre des Champs-Elysées. Le Sacre du Printemps est à la musique et à la danse ce que la Première Guerre Mondiale a été à l'histoire du XXe siècle : un déclencheur. La musique de Stravinsky et la chorégraphie de Nijinsky, jugées barbares à l'époque, avaient alors relégué les goûts du XIXe siècle au rang de vieilleries et signé l'acte de naissance d'un nouveau siècle.

C'est donc au Théâtre des Champs-Elysées que se déroulera l'essentiel des festivités, parmi lesquelles on signalera trois grandes versions chorégraphiques du Sacre du Printemps. La version de Nijinsky sera interprétée par le ballet du Théâtre Mariinsky sous la direction de Valery Gergiev et sera suivie, au cours de la même soirée, d'une nouvelle chorégraphie créée spécialement pour l'occasion par la chorégraphe allemande Sasha Waltz. La troupe du Tanztheater Wupperthal viendra présenter, quant à elle, la mythique version du Sacre du Printemps de Pina Bausch.

Le Théâtre du Capitole à Toulouse rendra lui aussi hommage à la musique de Stravinsky avec trois courts ballets contemporains: Pulcinella (dans la chorégraphie de Nils Christe), La Symphonie des Psaumes (Jiří Kylián) et Les Noces (Stijn Celis).

Parmi les créations des Ballets Russes, il est des spectacles où l'alliance entre un compositeur, un chorégraphe et un peintre est si réussie qu'elle en devient indestructible. C'est le cas du Coq d'Or de Rimsky-Korsakov, dont la chorégraphie originale sera présentée au Théâtre des Champs-Elysées dans les décors de Natalia Gontcharova, avec notamment l’excellente Evguenia Obrastzova du Théâtre Mariinsky.

S'il y a un domaine artistique où l'excellence russe n'a jamais été contestée, c'est bien l'école de danse classique. L'école du Bolshoï sera ainsi l'une des invitées du Gala des écoles de danse du XXIe siècle organisé par l'Opéra de Paris. Mais si l'école de danse russe a su sauvegarder l'héritage de la danse classique, ce patrimoine pèse lourd sur les épaules des chorégraphes russes qui semblent s'être arrêtés au néoclassicisme – rares ont percé à l’étranger, et nous ne verrons, de danse contemporaine russe, qu’Auguste Rodin du saint-pétersbourgeois Boris Eifman.

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