Igor Kovaliov, génie de l’animation

Igor Kovaliov (à droite) parle avec Sjaak Rood, participant au cours de maître à Netherlands Institute for Animation Film (NIAF). Source : NIAF / Press Photo

Igor Kovaliov (à droite) parle avec Sjaak Rood, participant au cours de maître à Netherlands Institute for Animation Film (NIAF). Source : NIAF / Press Photo

Les Français connaissent Igor Kovaliov grâce au film Les Razmoket, mais il est également à la base de plusieurs courts-métrages d’animation de premier plan.

Un homme bleu au corps grumeleux et portant une veste rayée tente de se laver les dents, mais se retrouve englouti avec son appartement par le dentifrice qui, comme le découvre le public grâce un lent changement d’angle, provient de sa limace de compagnie et non du tube.
 

Parmi les nombreuses récompenses du studio Pilote :

1990 - Nominé aux Oscars dans la catégorie « courts-métrages d'animation » Los Angeles.
1991 - Prix FIPRESCI au Festival international du film d'Oberhausenm. (5/4)
1995 - Palme d'Or au Festival de Cannes de 1995 dans la catégorie des courts-métrages. (Gagarine)
        - « Les meilleurs débuts » au festival des films d'animation d’Annecy de 1995, la France. (Gagarine)
        - Prix du Public au festival de films d'animation d’Annecy de 1995." (Gagarine)
        - «Le plus drôle, le film » au Festival du film d'animation « Annecy-95." (Gagarine)

Voilà le monde étrange créé par Igor Kovaliov et que l’on retrouve dans le court-métrage d’animation Sa femme la poule, qui raconte l’histoire d’un homme tombé en dépression après avoir découvert que sa femme n’est pas celle qu’il croyait.
 

Igor Kovaliov a été membre fondateur de Pilot, premier studio de cinéma indépendant en Russie, et reste une personnalité importante dans le domaine de l’animation de ces dernières décennies, notamment pour avoir fait le lien entre l’Est et l’Occident, mais aussi grâce à ses succès commerciaux et son image.
 
Les jeunes connaissent au moins son passé hollywoodien grâce aux Razmoket, 10ème plus gros succès d’animation des années 1990, qui a généré des bénéfices de plus de 100 millions de dollars. Mais pour Kovaliov, il ne s’agit pas de son meilleur souvenir. Il explique avoir pris part à ce projet principalement pour gagner de l’argent afin de financer ses propres projets.


Les Razmoket est devenu 10ème plus gros succès d’animation des années 1990, qui a généré des bénéfices de plus de 100 millions de dollars. Crédit : AFP/EastNews

Selon Kovaliov, il était difficile d’apporter sa touche dans Les Razmoket. On reconnaît d’ailleurs davantage sa patte dans un autre film à succès de Nickelodeon des années 90 intitulé Drôles de monstres. On y suit un groupe de jeunes monstres qui étudient comment faire peur aux humains et connaissent de nombreux échecs en apprenant à devenir de vrais monstres.

 
De telles préoccupations existentielles rappellent certainement les œuvres indépendantes de Kovaliov, acclamé par la critique pour des films comme Andreï Svislotski, Flying Nansen,Bird in the Window et Milch. Il s’agit à chaque fois de films complexes dont le mystère est renforcé par la nature quelque peu insaisissable de Kovaliov. En effet, le réalisateur accorde rarement d’interviews et lorsqu’il le fait, elles sont truffées de déclarations énigmatiques sur sa manière de penser.

Le court-métrage Sa femme la poule, extrait

Dans une interview de 2005 au journal Izvestia, il se compare à « un enfant qui a trouvé son jouet préféré et ne veut plus s’en séparer »et décrit son processus de création comme un « jeu ». Mais lors d’un récent entretien avec le magazine Cinémathèque, il déclarait que « nous percevons tout comme de la philosophie ».
 
Une des caractéristiques de Kovaliov est qu’il associe différents éléments, offrant au simple spectateur un résultat plein d’humour tout en montrant une énorme qualité technique ainsi qu’une profondeur philosophique. C’est une des raisons pour lesquelles son travail est devenu, pour beaucoup, une référence.
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Selon le critique Mikhaïl Gourevitch, qui est également un de ses amis, « il faut relire, revoir et analyser plusieurs fois ses œuvres pour se rendre compte qu’elles sont plus simples, plus légères, plus directes et bien plus réalistes qu’elles ne paraissent la première fois ».
  
Le critique explique également à La Russie d’Aujourd’hui qu’ayant étudié Kovaliov de trop près, il a plus de mal à apprécier son style, mais il admet que ses court-métrages offrent beaucoup d’éléments à ceux qui cherchent du sens. En effet, une des caractéristiques qui définit ses films d’animation est leur densité. Ses œuvres offrent tellement de moments symboliques, ou « potentiellement » symboliques comme le dit Gourevitch, que le spectateur ne peut détourner son regard un instant.
 
Kovaliov utilise des effets comme des distorsions subtiles du temps, ce qui renforce certains passages et oblige le public à choisir lui-même la signification de ce qu’il regarde. Au début d’Andreï Svislotski par exemple, une brosse à cheveux s’envole vers la main d’un homme en train d’attendre, tandis que son drap de lit flotte vers lui bien trop lentement. Plus tard, un majordome prend tout son temps pour cacheter une lettre, ce qui rend la scène plus affectueuse.
 
« Ces effets font partie du style innovant et expérimental du réalisateur », explique Gourevitch. « Kovaliov est très exigeant en termes de montage et dans sa manière d’associer et de construire les mouvements. Ses animations sont faites à la main : les mouvements et la gestion du temps sont ainsi différents. Cela produits des mouvements saccadés ».
 
Ces détails peuvent échapper au spectateur lambda, sans pour autant l’empêcher d’apprécier les lignes rugueuses et les animations apparemment fluides qui permettent à Kovaliov d’explorer la frontière entre les personnages et leur monde. Ses personnages semblent parfois apparaître et disparaître dans l’arrière-plan. En modifiant les lois physiques de cette manière, le réalisateur pousse le public à réfléchir sur les normes en matière d’identité, que ce soit la leur ou celle des personnages.
 
Les réalités alternatives de Kovaliov sont souvent d’une tranquillité désarmante : ses personnages sont très à l’aise dans leur environnement, voire trop confiants. Il invente ensuite une histoire qui les pousse à reconsidérer ce qu’ils tiennent pour acquis. Et il ne manque pas d’utiliser le son pour renforcer les effets. Ses films sont en effet truffés de chansons et de bruits qui interrompent la narration de manière soudaine. Les personnages de Kovaliov couvrent d’ailleurs souvent leurs oreilles pour essayer d’empêcher l’intrusion du monde extérieur.
 
La résistance à de telles interruptions est souvent suivie de la détérioration de l’état mental des personnages, qui régressent fréquemment vers la nudité en temps de crise. La relation entre les humains et les animaux est un thème récurrent dans l’œuvre de Kovaliov : les animaux y ressemblent souvent à des humains et vice versa. La nudité de ses personnages, leur apparence bestiale et leur comportement bizarre servent à éliminer la frontière entre l’homme et l’animal, ce qui aide Kovaliov à explorer la structure compliquée de l’identité chez l’homme.
 
Les œuvres de Kovaliov sont la plupart du temps sans dialogues, ce qui permet au spectateur une plus grande liberté pour trouver des réponses émotionnelles et philosophiques aux thèmes abordés. Dans The Flying Nansen, par exemple, peu d’éléments expliquent pourquoi une inconnue saute dans les bras d’un autre et se met à l’embrasser langoureusement. Peut-être s’agit-il d’une exploration de la sexualité, ou peut-être devons-nous simplement nous référer à la description faite par Mikhaïl Gourevitch : « Kovaliov est un homme plein d’esprit qui adore les plaisanteries ».
 
Quelle que soit la voie choisie pour trouver des réponses à son œuvre, les films de Kovaliov rendent impossibles les interprétations faciles et c’est ce qui fait une partie de leur charme. Ils repoussent les limites et nous forcent à remettre en question ce que l’existence signifie exactement pour nous, tout en rendant possibles plusieurs explications.

Le court-métrage Gagarine, Palme d'or de Cannes 1995

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