Dans la crainte d’un regain de crise, les gens préfèrent garder les fonds accumulés non pas dans les banques, mais dans des biens durables. Crédit photo : Kommersant Photo
Mieux vaut acheter un peu de bonheur avant que l'argent ne perde totalement sa valeur. C’est ainsi qu’agit la majorité de nos concitoyens. Un comportement qui détonne avec celui des Européens et des autres pays émergents (BRICS).
Un comportement à contre-courant
Tous les Hommes se ressemblent, mais seuls les Russes préfèrent, en prévision de la crise, claquer leur salaire dans le centre commercial le plus proche tout en se lamentant que les temps n’y sont pas propices. L’avenir sera pire, on peut se retrouver sans salaire en un clin d’oeil et toucher le fond. Alors pourquoi donc se priver, maintenant, d'un pull neuf ou d’un iPhone ?
En effet, selon une étude publiée juin par le Boston Consulting Group (BCG), 60% de la population de Russie (plus que tout autre pays du BRICS) affirme que la crise a eu sur elle un impact négatif direct, et seuls 29% des sondés s’attendent à ce que la situation économique s’améliore pendant l’année. Selon la société Nielsen, 69% pensent que maintenant n'est pas le meilleur moment pour faire du shopping. Et pourtant, ils dépensent.
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« Les économies sont faites pour créer un certain coussin en cas de faillite. Si il n’y a pas d'épargne, de pécule pour les mauvais jours, la qualité de vie en cas de chocs va fortement chuter, et difficile de prévoir comment cela se terminera au niveau national. La prise en charge devra être effectuée par l'État. Mais dans un contexte de marché, les gens doivent se montrer responsables », souligne le chef du Laboratoire d’économie expérimentale et comportementale de la Haute école d'économie Alexeï Belianine. Pourtant, de nombreux consommateurs russes ne pensent pas en terme de responsabilités, ils veulent le bonheur immédiat.
Faire les magasins, un divertissement
Les divertissements ne manquent certes pas en Russie : sport, cinéma, théâtre. Mais pour les Russes, explique Klimenko, aller au cinéma ou au théâtre « n'est pas quelque chose qu’ils ont appris dans leur enfance. Faire les magasins est un plaisir primitif et familier. Et il se reproduit tout le temps, c’est pourquoi il est très agréable de s’acheter une nouvelle paire de chaussures ».
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Toutefois, selon les données du magasin d’électroménager M-Video, au cours des deux dernières années – depuis que la crise recule et que les crédits à la consommation sont devenus plus abordables –, on note une redistribution progressive de la demande « en faveur des marchandises des segment moyen et moyen-supérieur. C’est particulièrement visible dans le secteur du numérique : téléviseurs, téléphones mobiles, ordinateurs et appareils photo, explique le représentant du réseau. Les consommateurs optent pour des technologies plus modernes et plus coûteuses, mais pas pour le segment du luxe ». Dans tous les cas, le portefeuille s’allège, mais le sentiment demeure que l'argent n’est pas dépensé en vain.
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D'autre part, la proportion de ceux qui envisagent d'acheter des biens et services plus chers est tombée à 18% (4% de moins qu'en 2011). 43% des répondants ont confirmé que la crise les avait forcés à changer leurs habitudes : ils reportent les achats importants, essayent de trouver les meilleurs prix et ne manquent pas une occasion de profiter des promotions. Ils demeurent néanmoins loin derrière les Européens, ce comportement étant la norme pour 55% de la population française et 62% de la population italienne. Concernant les amateurs de luxe, qui regrouperaient 20% de sa population, la Russie est également loin devant les autres pays (à l’exception du Brésil – 23%), l’Inde ne comptant que 14% d’amateurs de luxe et le Japon, 5%.
Une valeur fiable : les biens durables
« Dans la crainte d’un regain de crise, et sur fond d’appréhension croissante quant à une dévaluation et à l'inflation, les gens préfèrent garder les fonds accumulés non pas dans les banques, mais dans des biens durables », a déclaré Maria Pomelnikova, notant qu'il s’agit d’un modèle de comportement russe classique dans les situations de crise. Ainsi, parmi les Russes interrogés par BCG, 18% disent qu'ils vont dépenser de l'argent par peur de faire des économies.
« Avec les devises, c’est l'incertitude absolue : faut-il avoir des roubles, des euros ou des dollars ? Toutes les trois peuvent s'effondrer. Les biens, dans cette situation, constituent une valeur plus fiable ».
Les options de placement « autres que l’achat d’un bien de consommation », sont ignorées par les gens, indique Alexeï Belianine. Bien sûr, vous pouvez mettre vos roubles sur un compte rémunéré à 9 ou 10% par an, ce qui débouchera sur un gain supérieur à l’inflation, mais la confiance dans les banques est plutôt faible, en dépit du système d'assurance des dépôts. Vous pouvez, en théorie, acheter des actions, mais qui sait ce qu’il adviendra sur les marchés boursiers dans l’avenir. L’immobilier ? Tout le monde ne peut pas se le permettre. Les bijoux ? Qu’en fait-on par la suite ?
En résumé, selon Alexeï Belianine, les Russes n’ont aucun moyen fiable de faire des économies mais ils ne sont pas prêts à assumer des responsabilités quant à leur propre avenir non plus. Une telle situation est concevable en période de grande crise, lorsqu'il faut décréter l'état militaire, ou instaurer le communisme (qui sont en général une seule et même chose). Mais dans des conditions normales, cela ne devrait pas arriver. Surtout dans une société moderne, dans laquelle les gens doivent être en mesure de se défendre économiquement.
Trouvez le texte original en russe sur le site de Kommersant
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