Environ 10% des étrangers qui viennent vivre en Russie parlent le russe. Mais seul 1% d'entre eux peut mener des négociations en russe. Crédit photo : Alamy / Legion Media
Luc Jones est représentant d'une société de recrutement à Moscou, Antal Russia. Il a étudié le russe en Grande-Bretagne, à l'institut. Mais en débarquant à Moscou, il a tout de suite réalisé qu'il lui manquait certaines connaissances du russe: il ne connaissait rien du langage courant. « A l'hôtel, la réceptionniste, une femme peu sympathique, m'a hurlé des mots qui ne figuraient dans aucun de mes manuels », se souvient Luc. Et d'ajouter: « dans mon travail, j'aurais pu me passer du russe, mais je suis de nature perfectionniste. J'ai donc décidé d'apprendre le russe pour pouvoir communiquer plus librement avec mes collègues ». Maintenant, Luc Jones parle parfaitement la langue et utilise même de temps à autres des expressions de la langue courante ou d’argot. « La difficulté n'est pas d'apprendre l'argot, mais de comprendre la mentalité russe. Difficile de la saisir pour les étrangers », explique-t-il. Selon lui, environ 10% des étrangers qui viennent vivre en Russie parlent le russe. Mais seul 1% d'entre eux peut mener des négociations en russe.
Luc Jones, représentant de la société de recrutement Antal Russia. Crédit photo : Antal Russia |
« La plupart des managers viennent ici pour une courte période. Il n'ont pas la nécessité d'apprendre le russe. D'ailleurs bientôt, ils seront déjà dans un autre pays », observe Luc. Pour Evgueni Merkel, directeur d’Excellion Partners International, établit et travaillant depuis longtemps en Europe, les managers internationaux s'intéressent actuellement beaucoup au chinois. Ils peuvent apprendre la langue du pays s'ils vivent, par exemple, en Allemagne. « Mais en Russie, ils n'apprennent pas le russe », constate ce dernier. « Peut-être est-ce difficile pour eux ? », demande-t-il en souriant. Derrière l'absence de désir des étrangers pour la langue russe, il y a des raisons économiques et culturelles. « Nous produisons peu, générons peu d'idées, et ne sommes plus une langue tendance dans le monde », explique Maxim Krongauz, professeur et directeur de l'Université linguistique d'Etat de Moscou (RGGU). « En outre, le russe emprunte aujourd'hui beaucoup d'anglicisme pour qualifier les nouveaux produits et phénomènes venus de l'Occident, car nous n'avons pas les mots russes appropriés ».
« Dans notre centre, nous avons quelques responsables de sociétés », témoigne la directrice du Centre d'apprentissage des langues Globus International où le russe est enseigné comme langue étrangère. « Il s'agit en majorité de personnes de plus de 32 ans, qui ont commencé à apprendre le russe uniquement pour gagner le respect de leurs collègues, ou surprendre leurs partenaires russes. Pour ce qui est de mener des affaires en Russie, ils n'ont pas besoin de parler la langue du pays. La plupart des cadres russes parlent l'anglais. D'autant que beaucoup d'étrangers ne souhaitent pas apprendre à lire ou à écrire, mais seulement à parler », ajoute-t-elle. « En revanche, ils ont parfois besoin de connaître certaines expressions et types de langages ».
Le russe version ‘corporate’
« En Grande-Bretagne, le russe est mal enseigné », estime Luc Jones, de la société Antal Russia. « La première chose qu'ils vous donnent à apprendre, c'est le tableau des déclinaisons. Et beaucoup perdent immédiatement leur enthousiasme ». Une étude plus approfondie de la langue ne vous promet pas plus de facilité. « J’ai mis des années à comprendre certaines subtilités de la langue russe ».
Les Russes sont les premiers à rendre la vie plus facile aux expatriés. En effet, la plupart des managers russes qui travaillent pour des entreprises internationales parlent anglais, confirme Galina Rogozina, partenaire et directrice de développement de RosExpert. Si néanmoins le collègue étranger parle russe, les Russes se garderont d’utiliser certaines expressions ou codes de langages. De leur côté, les étrangers établis depuis longtemps en Russie s’habituent à parler un anglais simplifié, de sorte qu’il soit plus compréhensible, indique un expatrié qui suit des cours de russe au Centre Globus International. Autre tour de magie de la communication internationale: ce que l’on appelle le langage ‘corporate’.
« C’est une langue universelle, qui mélange mots russes et termes anglais. Elle est particulièrement répandue dans les sociétés du secteur FMCG », explique Galina Rogozina. «Le langage ‘corporate’ ne sert qu’à simplifier la communication au bureau, car le mot étranger incorporé dans la phrase russe peut parfois tellement être transformer qu’un américain ou un anglais serait incapable de le reconnaître», prévient Maxim Krongauz de l’Université RGGU. Un exemple? En russe, le nom « Piarschik », vient du verbe « piarit » (mener des actions de relations publiques). Et pourtant, l’origine de ces deux termes vient bien de l'abréviation anglaise PR.
Malgré tout, ces dernières années, la demande d’apprentissage du russe des affaires a augmenté auprès des cadres étrangers, amenés à collaborer avec des entreprises russes, indique Ioulia Amlinskaïa, professeur indépendante et fondatrice des cours de russe en ligne Russificate. Elle raconte que lors des fêtes de fin d’année de son entreprise, un de ses « élèves » a malencontreusement renommé le Père Noël en Porc Noël. « Après ce genre de confusions, ceux qui étudient le russe sont plus assidus et posent plus de questions quant aux termes et expressions à caractère non-littéraire », assure Ioulia.
Article original sur le site de Vedomosti
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