Crédit photo : RIA Novosti / Ekaterina Chesnokova
Le court métrage En chemin, de la réalisatrice russe Taïsia Igoumentseva, a reçu le grand prix de la Cinéfondation, qui récompense les œuvres d’étudiants à Cannes. Cette année, 15 films réalisés dans 14 pays différents ont été retenus parmi plus de 1 700 projets envoyés. En plus du prix, Igoumentseva recevra également la somme de 15 000 euros. Le jury du concours était présidé par le réalisateur belge Jean-Pierre Dardenne.
La jeune réalisatrice Taïsia Igoumentseva a terminé l’Institut national russe de la cinématographie l’année dernière. Elle y a notamment étudié sous la direction du célèbre réalisateur Alexeï Outchitel. En plus de l’œuvre d’Igoumentseva, le film Dans la brume, du réalisateur ukrainien, Sergueï Loznitsa, a remporté le prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI).
En chemin, c’est une histoire de 30 minutes sur un jeune d’une mégalopole, dont le seul plaisir dans la vie est de proférer des insultes très crues aux habitants de sa propre cour entourée de grands immeubles. La Russie d’aujourd’hui a discuté avec Taïsia de sa victoire et de ses futurs projets.
La Russie d'Aujourd'hui : Se retrouver au festival de Cannes constitue une grande chance, surtout à ses débuts. Comment y êtes-vous arrivée ?
Taïsia Igoumentseva : J’ai envoyé mon film à l’organisation du festival complétement par hasard. C’est une histoire incroyable sur la chance d’une réalisatrice en peine. Chaque année, l’Institut national de la cinématographie envoie une série de films de diplômés approuvés par un comité, mais le mien n’en faisait pas partie. Je peux donc imaginer l’étonnement du jury qui a reçu En chemin séparément des autres films de l’Institut et avec un mois de retard. Pour être franche, je ne m’attendais pas qu’il soit retenu. C’est pourquoi j’ai proposé mon film à plusieurs festivals en même temps, que ce soit en France, en Russie ou en Allemagne. Un mois plus tard, je recevais un coup de fil de l’organisation. Apparemment, ils avaient longtemps hésité avant de prendre une décision car le programme avait déjà été établi et comprenait 14 films. Et ce n’est qu’au soir de cette journée que j’ai reçu la réponse finale : une invitation à participer au programme Cinéfondation du concours.
LRA : À votre avis, pourquoi le jury de Cannes a fait une exception pour votre film ?
TI : Pour vous répondre, je citerai simplement les organisateurs qui m’ont dit : « Nous vous remercions pour ce film magnifique, plein d’humour et de subtilité, avec une très bonne réalisation et un jeu d’acteur fantastique ».
LRA : Qu’a pensé Outchitel du film ? Vous aviez déjà défendu devant lui En chemin pour votre mémoire à l’Institut national de la cinématographie.
TI : Alexeï Outchitel essaye toujours de défendre toutes les idées, de guider les talents, d’aider à trouver son style d’auteur. J’ai voulu suivre cette voie en réalisant En chemin. Lors de la défense de mon mémoire, la commission voulait me donner un trois (sur cinq, conformément au système de notation utilisé en Russie), et ce à cause des expressions non-censurées à l’écran. Mais Alexeï Outchitel n’était pas d’accord. En fin de compte et après de longues délibérations, la commission a décidé de me donner un quatre.
LRA : Lorsque vous réalisiez En chemin, aviez-vous d’autres films en tête ? Le film fait fortement penser aux films indépendants américains dans l’esprit du festival Sundance.
Évidemment que non. Je ne connais aucun réalisateur qui penserait à un autre film pour exposer ses idées. On peut s’inspirer de certains éléments ou utiliser l’expérience du passé. Mais il faut toujours viser un objectif : créer son œuvre, qui ne ressemble à rien et à personne d’autre.
En chemin est avant tout un film sur la solitude de l’homme moderne dans les grandes mégalopoles. Un outsider qui ne s’inscrit dans aucun système. Mais il aborde également l’amour, la liberté intérieure et d’autres sujets importants.
LRA : Que signifie le titre du film ?
Le personnage principal, Sergueï, envoie les habitants de l’immeuble justement sur ce chemin.
LRA : La seule occupation qui donne du plaisir au héros de votre film est de sortir dans une zone résidentielle et de traiter les gens qui l’entourent de tous les noms. Comment associez-vous cela avec le sursaut de la société civile en Russie et, en particulier, à Moscou ?
Je ne l’associe pas. Ce film a été pensé longtemps avant les événements actuels. Pour le héros, insulter est un moyen d’étendre ses ailes, de se détacher de la dureté de la vie et de se montrer. Dans la cour de la maison, il se sent comme sur scène. Il porte un beau costume et il est bien coiffé. De vilain petit canard, il se transforme en vrai cygne. Mon héros ne sort pas simplement dans la rue pour insulter tous ceux qui l’entourent. Grâce à l’excellent jeu d’acteur de Sergueï Abroskine, cet acte de « vandalisme compulsif » acquiert un effet extrêmement comique.
LRA : Vos œuvres précédentes ont-elles été projetées dans des festivals internationaux ?
Tous mes films précédents étaient des documentaires. Et pour être franche, je n’ai jamais eu comme objectif de faire du « cinéma de festival ».
LRA : Avez-vous vu les films de vos concurrents ? Qu’en pensez-vous ?
Les œuvres européennes m’ont paru moins profondes. Le formalisme prédominait dans la plupart d’entre elles. Les réalisateurs essayaient de parler de sujets sérieux, mais on ne ressentait pas la relation et la compréhension qu’ils avaient de ces thèmes.
LRA : Quel sera le moment le plus inoubliable de votre séjour ?
Le moment le plus inoubliable, en plus de la victoire et des gens magnifiques que j’ai rencontrés bien évidemment, c’est lorsque Jean-Pierre Dardenne et moi attendions sous les parapluies de donner des interviews à la télévision française. Nous avons profité de ce moment pour discuter d’égal à égal. Nous avons rigolé, blagué et discuté de tout et de rien. Il a été fantastique et très ouvert.
LRA : Avez-vous déjà prévu de réaliser un long-métrage ?
Mon scénariste préféré Alexandre Golovine et moi avons déjà écrit le scénario d’un long-métrage. À l’heure actuelle, nous cherchons activement des financements.
LRA : De quoi parlera le film ?
Il sera aussi intéressant qu’En chemin. Et bien plus actuel. Le film parlera de la situation de notre société contemporaine, d’amitié, des compromis et, évidemment, d’amour. Je ne peux pas en dire plus pour le moment. Je peux juste ajouter qu’il s’appellera Rendre l’âme.
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