Image de Viktor Bogorad
Comment sera le troisième mandat présidentiel de Poutine ? Sans surprise. Le style du nouveau président est déjà défini : conservateur, sans à-coups, sans « bond en avant », sans défi à proposer pour l’avenir, sans exaltation de gauche (progressiste) ni de droite (libérale). On ne nous prépare plus à une modernisation à grande échelle mais à de dures épreuves, à des dangers que nous devrons surmonter ensemble et faire en sorte que les événements ne prennent une mauvaise tournure.
Le conservatisme a imprégné toute la rhétorique électorale de Poutine. Durant la campagne, il s’est obstinément affiché en gestionnaire de crise expérimenté qui vient toujours à temps pour sauver la situation. Cette image qu’il cultive correspond à la vision que le nouveau président a de lui-même, mais le conservatisme de sa feuille de route n’est pas qu’une affaire d’image.
Aucun domaine de la politique nationale ne devrait être sujet à des changements importants. Les experts redoutent pour l’automne, l’hiver au plus tard, une deuxième vague de la crise économique, qui pourrait déboucher sur la chute de la zone euro, l’écroulement des cours du pétrole, et par conséquent replonger une grande partie des Russes dans une forte inquiétude. Il est évident que personne ne parlera de « modernisation technologique » et d’affectations budgétaires à cette fin tant que la deuxième vague ne se sera pas abattue sur la Russie, ou qu’elle ne nous aura pas, miraculeusement, contournés.
Pas de changements prévus en politique étrangère non plus. Les Américains ne vont pas renoncer à leur bouclier anti-missile en Europe - l’invulnérabilité stratégique est un objectif primordial de la politique de défense étasunienne. Sur ce front, une trêve maximale a été atteinte et l’avenir ne réserve que des ennuis. Pas tout de suite, car la crise touchera aussi les États-Unis, mais tôt ou tard, les difficultés commenceront.
Enfin, à l’intérieur du pays, l’accalmie semble durable mais sans véritable perspective d’apaisement. Les « citadins en colères » ont été enfermés dans un ghetto de velours, celui de la « classe créative », séparés ainsi de la province mécontente. Dans le passé, le pouvoir travaillait à l’amadouer, cette classe, en lui organisant fondations, maisons d’éditions, magazines ; en essayant de prouver qu’il œuvrait pour son bien-être. Désormais, le pouvoir ne compte sur aucune affection particulière de la part des « créatifs » et ne s’attend à aucune amélioration.
Dans une situation aussi délicate, lorsque sur aucun front personne ne prévoit de passer à l’offensive, mais en revanche tout le monde est prêt à se faire attaquer par l’ennemi, il n’y a que trois lignes stratégiques possibles.
Premièrement, une réforme du système politique russe, qui ne peut pas survivre dans sa forme actuelle. Dans le système existant, le rôle des partis politiques est totalement incompréhensible. Cependant le processus de formation rapide de partis est déjà en cours et devrait porter ses premiers fruits aux élections régionales. Les partis vont se renforcer et finir par exiger des pouvoirs, comme il se doit pour une formation politique. Dans l’état actuel des choses, le conflit entre les partis et la bureaucratie est presque programmé d’avance. Le pouvoir peut et doit agir dans cette direction.
Deuxièmement, la politique régionale. Quand les ressources centrales s’épuiseront, la classe politique active s’intéressera peu à peu aux régions. C’est là que commencera la vraie vie. Après la décentralisation de Medvedev, les régions obtiendront une plus grande liberté politique et financière, et la question sera de savoir comment elles l’utiliseront. Deux possibilités : soit elles évolueront vers plus d’indépendance dans le cadre de la fédération, soit chacune cherchera à y augmenter son poids. Il va de soi que la fédération ne se renforcera que si le second processus domine le premier.
Enfin, il existe un troisième axe, celui du rôle des cadres. L’un des principaux problèmes de ces dernières années, c’est le triomphe ultime d’un ordre que l’on peut appeler « les boyards des ressources ». Il ne s’agit pas seulement des propriétaires des sous-sols riches en ressources minières : dans notre société, tout est devenu ressource, de la terre en friche à la contestation urbaine. Et à chaque ressource, naturellement, son détenteur. On peut obtenir un budget pour n’importe quoi et tout peut être, d’une manière ou d’une autre, capitalisé et exploité.
Reste un problème dans ce monde : y vivent mal ceux dont les seules ressources sont leurs capacités personnelles. Précisément, ces « gestionnaires de crise » parmi lesquels voudrait se voir l’actuel président. Ces gens débarquent au moment critique pour tout rectifier et repartir, en ayant conservé en guise de ressource leur seule réputation. Ces gens-là se sentent abandonnés par le pouvoir qui a préféré s’acoquiner avec les boyards des ressources.
Difficile à dire de quelle façon, mais le pouvoir va devoir s’attirer la reconnaissance de cette caste, et à cette fin, former une sorte de « noblesse méritocratique », prête a exécuter n’importe quelle tâche, pour le succès du pouvoir, et le sien propre, et non pas pour s’approprier des richesses. Seule une telle catégorie de personnes, si elles se sentent indispensables et unies, pourra, tôt ou tard, nous sortir des marécages de la corruption systémique.
En additionnant ces trois lignes d’attaque et en les complétant par un programme concret, nous obtiendrons l’axe d’une bonne présidence. Mieux vaut repousser les autres plans et stratégies au mandat suivant.
Boris Mejouev est politologue
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