Le pétrole et l’État

Image d'Alexey Iorsh

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Des entreprises publiques pour exploiter les gisements à l’intérieur du pays et des sociétés privées pour favoriser l’expansion internationale : voici la formule parfaite adoptée pour combiner la responsabilité d’État et les projets privés dans le secteur pétrolier.

La nationalisation des entreprises pétrolières est devenue la norme immédiatement après la crise russe qui a duré de 1997 à 1999 : dès le début des années 2000, les analystes constataient avec étonnement la hausse des réserves et de la production des compagnies pétrolières d’État combinée à la baisse des activités des entreprises privées. Cette tendance a de nouveau soulevé la question de la forme optimale de propriété, et a aidé à comprendre que le cliché en grande partie idéologique selon lequel les sociétés privées seraient plus efficaces que les entreprises publiques n’est vrai que pour les PME. La différence est plus subtile en ce qui concerne les grandes compagnies : le secteur privé ne contient pas moins d’exemples de gaspillage et même d’incohérences que le public.

Il ne faut pas non plus oublier que les grandes sociétés par actions ont depuis longtemps une autre vision de la propriété privée, différente de son sens classique. La propriété privée n’a pas changé au niveau de l’entreprise familiale, mais a disparu au niveau des grandes sociétés. En effet, lorsque les actionnaires ne peuvent presque plus influencer les top managers (sinon licencier certaines personnes pour en engager d’autres qui seront identiques, voire pires), cela signifie qu’ils ne sont plus propriétaires dans les faits. De plus, beaucoup d’actionnaires ne veulent plus participer à la gestion : ils préfèrent donc agir comme des pensionnaires plutôt que comme des propriétaires.

En 1997, une étude commandée par les réformateurs russes et menée par un groupe de spécialistes a tenté de comparer l’efficacité des entreprises privées et publiques. Elle a démontré que le secteur privé en Russie était à peine plus productif que le public, et ce alors qu’elle comparait les sociétés privées des industries les plus rentables (qui à cette période ont été privatisées en priorité) avec des entreprises publiques principalement actives dans des secteurs peu rentables. Avec une telle base de comparaison, la conclusion selon laquelle les entreprises privées ne sont pas beaucoup plus efficaces que les compagnies nationales est fausse. La forme de propriété privée en Russie était en réalité beaucoup moins efficace.

Mais les préjugés ne sont pas qu’idéologiques. L’idée selon laquelle la propriété privée est la meilleure solution est aussi influencée par les intérêts politiques des fonctionnaires. D’ailleurs, une grève dans une entreprise publique est considérée comme une crise politique, alors que dans le secteur privé, on parle de situation favorable pour l’État car il joue le rôle d’arbitre et peut ainsi augmenter son influence.

Même un pur libéral comme Jeffrey Sachs, qui a tenté d’analyser en profondeur la raison du succès de la Chine et de son économie nationalisée, est arrivé à la conclusion que ce sont les conditions institutionnelles qui importent le plus, et non la forme de propriété.

En réalité, ce sont les technologies et le principe général d’harmonisation des intérêts des entreprises et de la population qui déterminent la forme de propriété optimale. Sur la scène internationale, l’État doit d’abord penser aux intérêts des entreprises nationales, élément plus créatif et agressif de la société qui assure et oriente partiellement son expansion.

À l’intérieur du pays, où l’agressivité, même commerciale, n’est pas nécessaire, l’État doit défendre en premier lieu les intérêts de la population, non seulement à cause de son influence politique prédominante (dans une société démocratique), mais aussi parce qu’un pays instable et fragmenté ne peut pas être compétitif.

La forme de propriété adoptée par les États pour gérer les compagnies pétrolières constitue un bon exemple de combinaison des intérêts des entreprises dans la politique extérieure et de ceux de la population au niveau national.

Lorsqu’elles travaillent principalement à l’intérieur du territoire, les entreprises d’extraction sont en règle générale dans les mains de l’État pour satisfaire les intérêts de la population, et pas seulement dans les pays en développement, mais également dans les régions riches comme la Norvège, par exemple.

Or, les entreprises qui exploitent le pétrole dans d’autres pays sont généralement privées, et ce pour favoriser leur expansion. Nous touchons ici à un aspect purement pratique : le pays qui abrite ces gisements est plus facile à accéder pour les entreprises privées étrangères que pour les compagnies nationales étrangères, la menace envers la souveraineté politique étant plus évidente dans le second cas.

Même si ce modèle entraîne des dépenses bien plus importantes pour les entreprises, elles sont entièrement rentabilisées par la productivité de l’État, capable de s’assurer le respect des « règles du jeu » en place à l’intérieur du pays, mais aussi l’expansion de ses entreprises à l’étranger. Ce système lui permet de gagner plus que ce qu’il ne perd à cause des restrictions intérieures. Un exemple des telles autolimitations des grandes entreprises sur la scène nationale est l’accord sur les règlementations automobiles (sans lequel de telles règlementations inefficaces de l’État n’auraient en principe pas été possibles).

L’auteur de l’article est directeur de l’Institut d’analyse des problèmes de la mondialisation.

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