Crédits photo : Pauline Narychkina
1) Poutine va-t-il maintenir la stabilité en Russie ?
2) Craignez-vous que la Russie entre dans une période de luttes politiques ?
3) Pensez-vous que la Russie a besoin de profonds changements ?
Mikhaïl Pavlov, propriétaire d’un magasin de moto et quadricycles, 44 ans
1. Je pense qu’il mènera une politique de stabilisation et de développement. En tout cas, je l’espère.
2. Il y a des risques, mais j’espère et je pense que l’on évitera cette situation
3. Elle en a besoin pour avancer. Mais il ne doit pas s’agir de bouleversements complets, seulement de changements échelonnés, l’un après l’autre.
Vladislav Batchourov, journaliste, ancien rédacteur en chef du magazine Top Manager, 46 ans
1. Non, il n’y aura aucun changement pour le moment car la situation économique est plutôt favorable. Poutine, jusqu’à présent, s’est efforcé de répartir les forces économiques et s’est construit un contexte confortable où le pouvoir et les richesses sont détenus par son cercle de proches. Aujourd’hui, personne n’a vraiment intérêt à de grands changements. Sauf en cas de force majeur, par exemple la découverte d’un puits de pétrole au Kuweit, ce qui remettrait tout en cause. Mais le système capitaliste d’Etat en vigueur est bien ancré, impliquant de nombreux fonctionnaires. Même un projet innovant comme Skolkovo a été placé sous la direction de Vekselberg, un proche de Poutine, et non pas laissé aux mains de jeunes entreprises dynamiques. Tout ça pour garder le contrôle.
2. Non. Les gens ne sont pas assez fédérés à grande échelle et les problèmes d’organisation persistent. En Russie, pour le moment, il n’y a pas de leaders. Mais ils vont arriver
3. La Russie a surtout besoin de réformes économiques et politiques qui lui permettent d’accroître son bien être : des élections justes, l’élection des gouverneurs, la fin du monopole de Russie Unie, le rétablissement de la compétition entre les partis. Il faut aussi tenter de rétablir un système économique qui soit moins basé sur la corruption et apporter un soutien aux sociétés innovantes et aux nouvelles technologies. Des choses assez banales en somme.
Lev Lourie, philosophe et historien, 66 ans
1. Il n’est pas question de stabilisation dans son programme – il a déjà stabilisé tout ce qu’il pouvait – mais de développement. Or aucun développement n’est possible dans le système actuel. Il se trouve dans une situation très difficile. Le programme de développement que prônait Medvedev, avec Skolkovo, était irréalisable sous Poutine, mais c’était une voie à suivre. Je suis sûr que si Medvedev n’avait pas démissionné, il n’y aurait pas eu toutes ces manifestations. Il va devoir faire avec cette mafia du pétrole. Il n’a pas beaucoup de chances de s’en dégluer.
2. Je ne vois pas de réelle révolution pour le moment. Mais le régime sera ébranlé dès la première crise. Tant qu’il y a une menace de guerre en Iran et que le baril est à 105 $, le système peut tenir. Mais la situation risque d’empirer si la province et les campagnes se lèvent, cela peut avoir des conséquences très graves.
3. Aucun régime n’est immuable. C’est une règle historique. Staline, tous les dix ans, faisait fusiller ses commissaires pour faire avancer le régime, la Chine a ses propres moyens de limiter la durée du pouvoir, en Occident ce sont les lois démocratiques. Ici, la constitution n’est qu’un morceau de papier. En Russie, cette situation de monopole du pouvoir ne peut durer indéfiniment, il va forcément se passer quelque chose.
Artem Erenbourg, chef du service informatique d’une grande banque d’Etat, 44 ans
1. Poutine est prêt à entreprendre des changements dans le pays. Medvedev a fait beaucoup de promesses que Poutine ne pourra totalement ignorer : il devra les réaliser. Mais dans son programme officiel, il n’y a pas de grand projet radical de modernisation du pays. Des améliorations tout au plus. Je pense qu’il va apporter des modifications à la vie politique, ouvrir la politique à la compétition, aux petits partis. Rendre la vie politique plus vivante tout en conservant le monopole du pouvoir. La question principale demeure : qui est le chef ? Je ne m’attends donc pas à de grands changements après les élections, mais peut être n’est-ce pas plus mal pour les Russes qui ont obtenu beaucoup.
2. Tout dépend de la réaction de Poutine. Au Kremlin, il y a deux grands groupes : Medvedev qui est pour le changement, des lois plus libérales, et les autres pour qui ce n’est pas obligatoire, enclins à adapter le système peu à peu, à le moduler. D’après ce que j’entends à la radio, Poutine n’a pas encore pris position. Pour le moment, tous les processus sont en suspens. Je ne sens pas de danger mais tout est possible.
3. Des changements en bien, pourquoi pas. Je suis plus pour un système vivant que figé. Par exemple, quand le gouverneur de Saint-Pétersbourg a changé, on a perdu en stabilité mais on a tout de suite senti des améliorations.
Iliya Temkin, directeur d’une agence publicitaire, 41
1. Poutine n’est pas maître de sa politique, car il n’a pas les connaissances requises. Il peut prendre des décisions mais il n’en est pas à l’origine. La stabilité, je ne la vois pas.
2. Il y aura forcément des confrontations dans les deux ans qui viennent. Elles sont inévitables. La plupart des Russes constituant cette grande majorité qui vote Poutine le font par inertie, ils ne peuvent pas argumenter de manière raisonnée leur choix. Un jour, bientôt, ce ne sera plus possible.
3. Les changements doivent se produire d’abord dans les consciences, et c’est ce qui est en train de se produire. Mais personnellement, je ne veux pas obéir à ces règles qui ne me conviennent plus. Il y a rupture du contrat social. Quels sont les grands retournements ? Monter à la grille du Palais d’hiver ? Il faut que Poutine parte. L’histoire amène toujours de nouveaux héros ou anti-héros. Cette place ne restera jamais vide, si quelqu’un ne la monopolise pas indéfiniment, comme le fait Poutine. Les Etats-Unis ont une Constitution inchangée depuis 200 ans et ça ne gêne en rien à la stabilité sociale, contrairement à ce qui se passe en Russie.
Sergueï « Afrika » Bougaev, artiste et directeur de l’Ecole de curateurs de Saint-Pétersbourg, 45 ans
1. Que ce soit Poutine qui vienne au pouvoir ou quelqu’un d’autre, il est évident qu’un pays comme la Russie, qui a connu déjà de tels retournements, a un besoin intense de stabilité.
2. Au regard de ce qui se passe dans le monde, on s’aperçoit que c’est une nouvelle tendance vers un ordre de répression qui se généralise, donc pourquoi la Russie ne participerait-elle pas à cette tendance ?
3. Oui, la Russie a besoin de profonds changements, surtout en matières de conscience, de mentalité, de façon de penser. La Russie est un pays très particulier avec une structure qui lui est propre, et elle a démontré qu’elle était capable de se tourner parfois vers une voie tout à fait originale.
Ivan Kvassov, poète et publicitaire, coordinateur du comité des observateurs pour les élections du 4 mars 2012, 39 ans
1. Il n’y a pas, à ce jour, de programme de stabilisation économique. Même s’il y a un programme, il n’est pas appliqué. Et la situation économique ne fait qu’empirer. Ceci est un tant soi peu compensé à renfort d’argent du pétrole, mais cette manne n’est pas infinie. Il n’y a rien de bon à attendre en matière d’économie. Mais je ne suis pas économiste !
2. J’aimerais vraiment éviter les confrontations mais j’ai bien l’impression que le pouvoir va nous y pousser. Poutine, qui est issu des organes de force, est féru de ces techniques. La question est de savoir si la force sera utilisée dans un cadre légal.
3. Nous avons eu assez de révolutions, faisons place à l’évolution !
Alexandra Olchevskaïa, psychologue, mère au foyer, 43 ans
1. Je crois qu’il n’a pas décidé encore de ce qu’il allait faire. A mon avis, il a été très surpris par les récents événements, et l’apparition d’une position civile forte. Il y a en ce moment toute une équipe derrière lui pour lui proposer des solutions.
2. Je suis persuadée qu’il y aura des conflits aigus. Poutine va sûrement commencer par cibler les plus actifs, qui se sont vraiment déchaînés, comme Navalny, pour essayer de les calmer. Il suffirait d’une démonstration de force pour que les gens arrêtent de sortir dans les rues. Des héros, il n’y en a pas tant que ça.
3. Non, il faut toujours éviter les grands bouleversements. Par contre, le pouvoir peut ralentir et arrêter ses agissements honteux de corruption, de népotisme, et l’impunité. Les conseillers de Poutine lui diront peut-être stop, ça suffit, ça commence à chauffer pour nous. Et ils commenceront à agir plus décemment. Mais moi, je suis contre les révolutions, car ça ne fait en général qu’empirer la situation.
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