Une scène du film « Sibérie Monamour ». Crédits photo : kinopoisk.ru
Le réalisateur Slava Ross est retourné dans sa Sibérie natale pour son deuxième long-métrage. Le résultat est une méditation délicate et envoutante sur la noirceur des âmes ordinaires et les étranges possibilités de rédemption. La brutalité abrupte du film mêlée à une engageante compassion ont attiré l’attention du public et des critiques.
Le réalisateur Luc Besson a joué un rôle de sage-femme pour le film d’art et d’essai Sibérie Monamour. Il a assuré les derniers montages et acheté les droits de distribution pour 20 ans. En tant que producteur, il promeut également le film à l’étranger. En 25 ans, Besson a 50 films à son actif, en tant que scénariste, réalisateur et producteur, et sa participation a donné à Sibérie Monamour une légitimité dans la communauté internationale cinématographique. Le long-métrage a été projeté à New-York et complète maintenant le circuit des festivals.
L’œuvre est une odyssée de dix ans qui a culminé en tournages dans des villages improvisés au cœur de la taïga, parmi des chiens sauvages, dans le froid, et avec une équipe souvent mécontente. Mais Ross a été récompensé par les éloges des critiques européens et américains pour son puissant travail de direction et son potentiel artistique.
« À des kilomètres de la théâtralité absurde de son premier long-métrage, Le gros lapin stupide, Ross dépeint de manière convaincante les différents habitants de la campagne qui luttent pour leur survie, dans et autour d’un hameau ironiquement appelé Monamour », écrit le Hollywood Reporter, en ajoutant que « le jeu d’acteur est puissant de bout en bout, et le jeune Protsko (Liochka) est particulièrement touchant sans jamais tomber dans la mièvrerie ».
« Je suis né en Sibérie et j’y ai vécu pendant 33 ans, j’en ai une expérience personnelle », a expliqué Ross après une projection à Moscou. « J’ai tout écrit, mais évidemment le scénario ressemble à la vraie vie, de ce que j’en ai vu et connu ».
Au cœur de l’histoire, un jeune orphelin, Liochka, et son grand-père (Piotry Zaitchenko, découvert par Pavel Lounguine dans Taxi Blues). Ils vivent dans un village abandonné, dans un état de délabrement à la limite de l’indigence. Une forêt seulement les sépare d’une vie meilleure et les habitants du village voisin se gaussent de ce grand-père qui refuse de déménager plus près des commodités modernes. L’unique protection de l’enfant et du vieillard est une ancienne icône devant laquelle ils prient tous les soirs à la bougie. Un officier d’armée et un soldat abusent d’une prostituée adolescente, avant de découvrir une solidarité étonnante avec la jeune femme, et le destin les mène finalement vers Liochka.
Le village abandonné a été construit pour le tournage. « Avec le directeur artistique, nous avons trouvé une clairière avec une toile de fond incroyable », raconte Ross. « Le directeur a créé le village mais il n’a pas utilisé de nouveaux matériaux. Toutes les maisons sont authentiques, elles ont été démontées, transportées et remontées ici ».
Le vrai Monamour existe aussi, mais c’est un endroit oublié. Les Cosaques ont
vu Paris après la guerre de 1812, puis sont rentrés dans l’Oural et la Sibérie.
Beaucoup de lieux portent depuis des noms français. « Quand j’étais
étudiant en cinéma au VGIK, en 2000, j’ai écrit un court-métrage, Oublié en
Sibérie. Il n’y avait que
deux personnages, le garçon et son
grand-père, et cette histoire ne m’a jamais abandonné. Je n’ai pas choisi de
faire ce film, c’est lui qui m’a choisi », répète souvent Ross. « Je
n’ai jamais eu de doutes quant à ma capacité à réaliser ce film ».
L’implication du réalisateur français a été un plus, mais n’est advenue qu’à la
fin amère de la production. « Besson a manifesté de l’intérêt après que
nos partenaires français lui ont montré le film. J’ai reçu un appel de son
équipe et j’ai été invité à venir dans ses studios, Digital Factory, pour la
post-production », explique Ross. « Le film a été fait avec de
l’argent russe, Besson a beaucoup aidé techniquement. »
Il y a eu des moments difficiles pendant le long tournage du film, qui présente une cinématographie époustouflante et les forces violentes de la nature. Le public peut éprouver un malaise face aux chiens sauvages enragés, mais pour Ross ils représentent la cruauté de la société. « Quand nous cherchions le site pour tourner, un chien sauvage a mordu notre producteur exécutif », se souvient le réalisateur.
« En 2008, nous avons commencé le tournage, puis la crise a commencé, mais nous avons eu la chance d’arriver à terminer le film. Quand l’argent s’est fait rare, les gens ont commencé à boire, et 40 membres de notre équipe ont abandonné le plateau. J’ai continué avec les 20 qui sont restés. Et grâce à eux seulement, j’ai réussi à trouver l’argent manquant pour continuer à tourner en 2009. »
Grâce à la qualité du travail effectué pendant la crise, Ross a reçu des financements supplémentaires pour continuer le projet. Sibérie Monamour a d’abord été développé avec la Résidence du Festival de Cannes. Selon le magazine Variety, le film contient suffisamment d’intrigue pour une demi-douzaine de long-métrages : « Des hordes de chiens salivants, un vieil ermite dévot, un jeune coincé dans un puis, un capitaine d’armée rendu fou par la guerre et deux brigands en maraude sont seulement quelques-uns des personnages qui évoluent sur fond de paysages époustouflants et d’une Sibérie implacable, mais Ross infuse ces clichés russes mélodramatiques avec tant d’exubérance qu’il se rachète presque ».
Le film couvre un vaste territoire, de la foi et du désespoir à la violence, en passant, entre autres, par les abus sexuels, l’intolérance et l’alcoolisme. Le public a ressenti une relation profonde avec le film et son portrait cru de la désolation du village. Quelques critiques russes ont reproché à Ross de perpétuer les stéréotypes de la pauvreté miséreuse, alcoolique et parfois criminelle des campagnes. Ils lui en ont voulu de présenter sans fard cette « tchernukha », ou brutalité sordide. « C’est une histoire bien particulière, qui ne doit pas être généralisée », se défend Ross. Sa narration est à la fois actuelle et hors du temps.
Les pulsions noires de Sibérie Monamour sont pleines d’espoir, assure le réalisateur : « Je ne crois pas que les vies que j’ai dépeintes soient désespérées. Mon film ne traite pas des aspects sombres de notre vie, mais de la foi et de la clémence ».
Sibérie Monmour a été projeté dans des salles d’art et d’essai, en Russie et en Europe, mais ne déplace pas les masses. Récemment, une projection gratuite à la Bibliothèque du Film, à Moscou, a rassemblé jeunes et vieux, et Ross a engagé avec eux une discussion après le film.
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