Nostalgie de la main lourde

Lioudmila Oulitskaïa. Crédits photo : Fotobank

Lioudmila Oulitskaïa. Crédits photo : Fotobank

L’écrivain Lioudmila Oulitskaïa, de passage à Paris à l’occasion des Journées du livre russe, donne son avis sur les récentes évolutions politiques en Russie.

Pourquoi les écrivains jouent-ils un rôle de premier plan dans les manifestations de l’opposition ?


Je ne trouve pas cela surprenant. La Russie compte beaucoup d’écrivains, et les gens dans la rue sont très différents les uns des autres. Les mécontents du pouvoir le sont pour des raisons diverses. Ces manifestations sont un phénomène comme je n’en ai pas vu depuis longtemps – vraiment, cela me met de bonne humeur ! Je n’exclus pas que, même si les élections présidentielles sont absolument honnêtes, on se retrouve de nouveau avec Poutine. Mais même s’il est réélu, aujourd’hui marque le début de sa chute en tant qu’homme politique.


Le pouvoir présente la Russie comme un pays pour lequel la démocratie est un mode de gouvernement inadapté. Qu’en pensez-vous ?


La Russie s’engage sur la voie de la démocratie. C’est un chemin long, difficile, mais inévi­table si la Russie veut faire partie des pays civilisés. En Russie, il existe des traditions pesantes, comme en particulier la nostalgie de la main lourde – cela mettra longtemps à s’estomper.


En l’absence de leaders d’opposition, les récentes manifestations étaient en grande partie organisées via les réseaux sociaux. Quelle influence ont-ils selon vous ?


La révolution via Internet est certes un phénomène nouveau, mais les révolutions arabes ont déjà démontré que les dirigeants qu’elles amènent peuvent être encore pires que les précédents. Internet ne fait qu’accélérer tous les processus.

Biographie

Née à Davlekanovo


Profession : écrivain


Lioudmila Oulitskaïa est l’auteur de nombreux romans et nouvelles, ainsi que de plusieurs scénarios de films. Ses œuvres sont largement traduites et diffusées en Europe, y compris en France. En 1996, à Paris, elle reçoit le prix Médicis étranger pour Sonietchka (c’est son premier roman, publié en Russie en 1992). En 2011, elle reçoit le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes. Parmi ses livres traduits en français, citons Sonietchka , Médée et ses enfants , Le Cas du docteur Koukotski .


En France, on parle d’inscrire dans la Constitution la loi de 1905 séparant l’Église et l’État. En Russie, il semble que nous observions un mouvement inverse...


En Russie, le pouvoir a besoin de l’ Église, et l’ Église a besoin du pouvoir, et ce rapprochement se produit simultanément dans les deux branches. Si la société avait compris, ne serait-ce que partiellement, le danger que représente une telle alliance, ce rapprochement aurait pu être freiné.


Il est dangereux – dangereux non pour l’ État mais pour le christianisme. Je dis bien le christianisme, et non l’Église : pour moi, ce sont deux choses bien distinctes. Ceux qui œuvrent pour ce rapprochement dans les milieux ecclésiastiques sont des fonctionnaires – et c’est la partie de l’Église qui m’est la moins sympathique.


À une époque, il semblait que le pouvoir pouvait couper tout mécontentement en promettant la possibilité de voyager et de consommer librement. Qu’est-ce qui a changé depuis dix ans ?


Cette situation est plutôt caractéristique des années 90. Je crains que le rideau de fer ne descende à nouveau. Mais pour répondre à cette question, il faudrait que je puisse me poser un instant et réfléchir.


À dire vrai, ma vie est un tel torrent que je ne prends pas le pouls de la situation politique en permanence. Je suis beaucoup plus intéressée par la vie d’un individu, et dans l’opposition de l’État à l’individu, je prendrai toujours le parti de ce dernier.

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