Les racines de notre racisme

Margarita Simonian est rédactrice

en chef sur la chaîne Russia Today.

J’ai entendu à la radio il y a quelques jours que « Neuf immigrés du Caucase ont attaqué un journaliste à Ekaterinbourg » . Triste, j’ai passé le reste du trajet à tenter de me rappeler la dernière fois que j’avais entendu parler de migrants venant de la région de Vladimir, tabasser quelqu’un dans une autre région. Dans ma région natale de Krasnodar, un groupe ethnique entier, les Turcs meskhets, a été opprimé. Pendant des années, ils ne pouvaient ni obtenir de papiers en règle ni travailler, ils étaient diabolisés à la télévision. En somme, ils étaient haïs. Tellement qu’un jour ils ont fait leurs valises et sont partis aux États-Unis, tous, donnant une image terrible de la Russie aux yeux du monde.


Le fait est que les habitants de la région ont toujours justifié leur haine des Turcs meskhets en clamant qu’ils étaient des criminels. En faisant un reportage dans le coin, j’avais demandé à la police de me fournir des statistiques officielles, pour découvrir que seulement 1% des crimes commis dans la région étaient impu­tables à des Turcs meskhets, alors que ceux-ci représentent 10% de la population. De plus, ils n’avaient pas été responsables de délits g­raves depuis de longues années.
L’immigration n’est pas le vrai problème, qui est beaucoup plus grave : l’intolérance et la haine de groupe autochtones. On peut interdire l’immigration, mais que faire des groupes ethniques non russes qui vivent sur leurs ­terres natales en Russie ?
La semaine dernière j’ai été témoin d’une scène écœurante à la gare de Kazan. Trois jeunes gens du Caucase interpellaient des responsables du service dans les wagons, des femmes en l’occurrence, sur le quai. « Eh les poulettes, elles sont toutes belles comme vous les femmes à Moscou ? » , s’esclaffaient-ils. Puis ils se sont pris par la main en hurlant : « Nous sommes du Caucase ! » .


Pourquoi certains Caucasiens se comportent-ils ainsi à Moscou? En font-ils autant chez eux ? Bien sûr que non. Ils respectent leurs compatriotes. Mais pas les Moscovites, ni les Russes en général. Les garçons du Caucase sont nombreux à avoir été élevés avec l’idée que les filles russes sont dépravées. Ils se sentent supérieurs aux Russes parce que c’est ainsi qu’ils ont été éduqués. Inversement, les gamins r­usses grandissent dans des foyers où on leur apprend que les gens du Caucase sont arriérés. Résultat, les uns et les autres trouvent normal de se traiter mutuellement avec mépris.


Je ne dis pas que chaque famille dans le Caucase entretient des sentiments xénophobes, mais c’est trop souvent le cas. Chacun dans le Caucase vient d’une telle famille, ou en connaît une. De même, je ne prétends pas que toutes les familles russes sont racistes, mais un grand nombre le sont. Avant la rue, c’est chez eux que les enfants russes entendent les insultes et les expressions de diffamation raciale à l’égard des Caucasiens. Et le problème n’a aucun lien avec l’orthodoxie, l’islam ou la criminalité. Il relève de perceptions subjectives et de préjugés personnels.


Cela dit, nous sommes réellement différents. Telle culture permet d’épouser des non-vierges alors que c’est totalement tabou dans une autre. Malheureusement, nous manquons trop souvent de sagesse pour accepter cette diversité. Nous focalisons sur les différences, ce qui nous mène droit à l’autodestruction.


Quand nos grands-parents étaient enfants, ils ne faisaient pas attention aux origines ethniques de leurs camarades de classe. Nos parents ont grandi à une époque où le discours haineux contre les autres groupes ethniques est devenu un lieu commun. Aujourd’hui, nos ­frères et sœurs règlent leurs comptes au couteau. Si nous ne stoppons pas cette dérive immédiatement, nous risquons de voir nos enfants recourir à la kalachnikov.  

Article initialement paru dans The Moscow Times

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