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L’admission de la Russie est une véritable aubaine pour le club de commerce
international. L’adhésion de l’un des plus grands pays au monde ressemble à un
rayon de soleil dans le ciel gris de l’économie mondiale en général et de l’OMC
en particulier.
Les performances de l’économie russe ne vont pas s’en ressentir dans un avenir
proche. Mais le long marathon de l’adhésion n’a toutefois pas été inutile. Les
termes arrachés par les négociateurs russes à leurs partenaires sont largement
favorables à la Russie. Ils assurent un accès sans discrimination des produits
russes aux marchés étrangers, ce qui s’appelle en langage international le statut
« de la nation la plus favorisée ».
La Russie peut également avoir recours au mécanisme de règlement des litiges de l’OMC. L’adhésion va créer un climat plus favorable aux investissements étrangers en Russie, et inversement, ouvrir pour les investisseurs russes des marchés dans les pays membres de l’OMC.
Néanmoins, aussi bonnes que soient les conditions de cette adhésion, il serait
imprudent de dire que « tout est bien qui finit bien ». Même si la
Russie peut désormais rejoindre l’OMC, elle devrait s’abstenir, car son
économie est faible par nature et non compétitive. L’adhésion à
l’OMC entretiendrait cet état des choses, à moins que le gouvernement ne
modifie radicalement sa politique socio-économique, qui fait de la Russie une
brebis galeuse même parmi les économies émergentes. Ce paradoxe peut être
compris en observant les fondations de la vie économique russe.
Premièrement, la base des exportations russes se détériore progressivement. Un
rapport de la Banque mondiale explique : « Le pétrole et le gaz
composaient moins de la moitié des exportations totales en 2000. En dix ans, ce
chiffre est passé aux deux tiers, 15% sont représentés par d’autres minéraux,
et 9% seulement de haute technologie, essentiellement dans l’industrie
militaire. » Depuis vingt ans, le Kremlin parle de diversifier et de
moderniser l’économie, mais elle repose toujours sur les industries
d’extraction. Les revenus pétroliers composent la moitié du budget fédéral, et
le pays dépend totalement des caprices des prix mondiaux du pétrole. En
adhérant à l’OMC maintenant la Russie accepte son rôle secondaire dans la
division internationale du travail en tant que fournisseur de matières premières.
Deuxièmement, l’été dernier, le Premier ministre Vladimir Poutine a expliqué
que la Russie avait besoin d’entrer à l’OMC pour éliminer ses pertes de revenus
sur les exportations qui s’élèvent à 1,8 milliards d’euros annuellement. Les
principaux perdants de cette discrimination sont les magnats de l’acier et des
métaux non ferreux, qui ont poussé le Kremlin à rejoindre l’OMC. Tandis que
leurs oligopoles ont déjà poussé leurs entreprises à résister à la compétition
internationale, la plus grosse partie des firmes industrielles, agricoles et de
service russes, sans parler des petites entreprises, ne sont pas compétitives,
même sur le marché local. Sans un soutien étatique fort, interdit par les
règles de l’OMC, elles seront perdantes, même après la fin de la période de
transition qui précède une adhésion entière.
Troisièmement, bien que la corruption ait été brandi par le Kremlin comme
l’ennemi public n°1, aucun signe visible n’indique qu’elle soit en baisse.
Selon certaines estimations, les sommes payées en pots-de-vin et ristournes
excèdent les revenus fiscaux de l’État. Les pots-de-vin dans les rachats
d’entreprises et les règlements judiciaires se mesurent en millions d’euros.
Ces dernières années, des milliers de concussionnaires ont été inculpés pour
corruption, mais des centaines seulement ont écopé de peines de prison.
La corruption endémique a placé les entreprises russes sous un double impôt
qui les rend non compétitives dès le départ. La main invisible du marché est
souvent remplacée par la poigne visible de la corruption.
Enfin, nombre d’entrepreneurs russes sont des proies faciles pour les
bureaucrates et les policiers qui exigent une part du gâteau ou des pots-de-vin
en échange de leur protection. Cette pratique empêche les grandes compagnies de
distribuer leurs produits à l’échelle nationale, parce que les fonctionnaires
dans les régions privilégient les entreprises locales. Résultat, un grand
nombre de produits de qualité fabriqués en Russie ne sont pas distribués dans
tout le pays. Deux décennies après le début des réformes du marché, seule une
poignée de marques dites « made in Russia » sont reconnues au niveau national.
Rien de surprenant à ce que ce climat hostile aux affaires entraîne une fuite
des capitaux à l’étranger. La Banque centrale de Russie estime que cette année,
70 milliards d’euros auront quitté le pays, s’ajoutant au trillion d’euros
partis depuis le début des années 1990. Aujourd’hui, l’économie russe a désespérément
besoin d’un soutien beaucoup plus important à l’entreprenariat national. Et ce
besoin est beaucoup plus urgent que les avantages procurés par une entrée au
sein de l’OMC.
Difficile de trouver une description plus précise de l’attitude des élites
politiques envers les affaires que la comparaison avec le fameux bon mot du
président américain Calvin Coolidge : « L’affaire de l’Amérique, ce sont
les affaires » . Si le Kremlin était honnête, il admettrait que : « L’affaire de la Russie, c’est de frauder les affaires » . Dans de telles
conditions, pousser le capitalisme russe encore embryonnaire dans les bras de
l’OMC, c’est condamner le pays à des bouleversements économiques et à une
désintégration comparable à la chute de l’Union soviétique.
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