Vlad Ivanenko, docteur ès économie, Ottawa
Dans un article intitulé La chute de la Deuxième Internationale, Lénine écrivait, en 1915, qu’ « en Russie, il est de notoriété publique que l’impérialisme capitaliste est considérablement plus faible que l’impérialisme militaro-féodal ». Aujourd’hui, bien que la composante militaire se soit affaiblie ces vingt dernières années, le féodalisme est resté intact. Il se définit comme une série d’obligations réciproques axées sur les trois concepts clés de seigneurs, vassaux et fiefs, et qui se répètent à différents niveaux à l’instar de la « verticale du pouvoir », promue par un autre Vladimir en passe de devenir le prochain président de la Russie.
A titre personnel, je pense que l’électeur russe moyen serait heureux de voir retourner à la barre un homme qui a déjà prouvé qu’il savait tenir fermement le gouvernail dans des eaux politiques troubles. Mais le problème se situe dans le système de gouvernance féodale que Poutine a nourri ces dix dernières années, dont il est devenu l’otage et selon lequel la perspective est moins réjouissante pour les voisins de la Russie.
La seule Union eurasienne compatible avec le régime existant en Russie serait, sans surprise, l’extension de la verticale du pouvoir aux pays limitrophes. En acceptant de former une union, Astana (Kazakhstan) et Minsk (Biélorussie) devront troquer leur statut actuel d’états politiquement indépendants pour les bénéfices économiques de l’accès au marché russe. Pour les pays d’Asie centrale sans débouchés sur la mer, cette perte d’indépendance politique sera la condition à l’accès aux marchés énergétiques européens, dont les routes sont contrôlées par la Russie : un arrangement qui profitera surtout à une poignée de grosses entreprises appartenant à des oligarques locaux. Reste alors à savoir en quoi un pays qui ne serait pas fermement tenu par les élites financières locales aurait intérêt à rejoindre une telle union.
J’aperçois néanmoins un rayon de soleil dans ce
tableau brumeux pour la Russie. L’union diluera immanquablement l’influence politique
dont bénéficie Poutine dans le régime actuel. Le Kremlin sera forcé de faire des
concessions pour apaiser les hommes forts voisins. Du moins, au début. Plus
tard, Moscou pourrait se lancer dans une nouvelle consolidation du pouvoir pour
rapprocher Minsk et Astana du statut des républiques nationales. Mais cette tentative
peut s’avérer compliquée à gérer. L’argent veut contrôler le pouvoir, sans être
soumis à la volonté souveraine d’un régime féodal et le résultat pourrait être
une révolution bourgeoise sous le slogan : « Oligarques de tous les
pays, unissez-vous ! », dont le succès pourrait se solder par une démocratisation
de la politique russe. Quant à Poutine, il pourrait finir par se rendre compte
qu’il a désespérément besoin du même niveau de soutien populaire qu’au début de
sa carrière politique.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.