Des partis en quête d’idéologie

Les chefs des partis représentés au Parlement en compagnie de Medvedev. À la pêche aux voix ? Crédits photo : Kommersant

Les chefs des partis représentés au Parlement en compagnie de Medvedev. À la pêche aux voix ? Crédits photo : Kommersant

Qu’attend-on d’un parti qui se nomme « libéral-démocrate » ? Qu’il prône des principes libéraux et démocratiques ? Pas en Russie. Dans ce pays, la formation qui en porte le nom (LDPR en abrégé) se présente comme un « parti d’État » au service des intérêts du peuple. Or, il s’agit d’un parti proche des mouvements nationalistes. Son chef, Vladimir Jirinovski, a déclaré le 22 août dernier qu’il porterait à la Douma un projet de loi à résonance ethnocentriste de « soutien au peuple russe » .


Qu’est censé représenter le Parti communiste ? En principe, la défense des intérêts des travailleurs dans une société sans classes et athée ? Eh bien, non. En Russie, le KPRF prend activement part au monde des affaires et soutient l’ É glise orthodoxe, que les communistes ont combattue avec acharnement sous le régime soviétique.


L’observation vaut pour le parti Juste cause, qui regroupe les libéraux de droite. Or, quand le milliardaire Mikhaïl Prokhorov en a pris les rênes, il a produit un manifeste en porte-à-faux avec toute idéologie de droite, mettant l’accent sur les garanties sociales et affichant un anticléricalisme marqué. Selon l’institut de sondage « Opinion publique », l’électorat de Prokhorov serait constitué en majorité de citoyens dotés de revenus modestes mais d’un bon bagage éducatif.

L’une des caractéristiques du système politique russe est donc l’inadéquation entre le nom du parti et son programme. Les partis sont dépourvus d’idéologie clairement définie. On mise tout sur la personnalité du chef. Exemple : Russie unie, le parti qui soutient Vladimir Poutine – celui-ci, qui n’en est même pas membre, se déclare centriste. Dans la pratique, Russie unie est le parti du pouvoir par excellence, sans programme réel.

En période électorale, les partis laissent de côté l’idéologie pour se limiter à la publication de leur programme, sans débats publics. Conséquence : le désintérêt total des électeurs. Le politologue Nikolaï Petrov, de la fondation Carnegy à Moscou, explique que « l’idéologie au sein des partis a commencé à disparaître déjà sous Eltsine. Ce n’est pas la faute du pouvoir actuel mais une particularité de la Russie post-soviétique qui, contrairement aux autres républiques de l’ex-URSS, n’a toujours pas su trouver un ancrage idéologique » .

Ces onze dernières années, le terrain politique russe a rétréci. Moins de joueurs, et des joueurs de plus en plus dociles. « Le gros du pouvoir politique était détenu par la Russie unie, qui ne supporte pas la concurrence. D’autre part, il n’y avait pas de réelle revendication sociale en matière de partis indépendants. La mentalité russe est en mal de leaders charismatiques mais les gens en place s’avèrent plus faciles à contrôler » , explique Alexei Moukhine, directeur du Centre de l’Information politique.


Parallèlement, les barrières électorales se renforcent. Il faut 7% de voix pour qu’un parti soit représenté à la Douma, et il devient de plus en plus difficile d’enregistrer une nouvelle formation. De fait, sept partis seront en lice aux élections parlementaires de décembre prochain, dont quatre sont déjà présents à la Douma : Russie unie, LDPR, KPRF, et Russie juste. Ce dernier, créé par l’équipe de Pou­tine sur le créneau socialiste, est dirigé par des hommes loyaux envers le Premier ministre.


Autre cas de parti piloté du Kremlin : Juste Cause, destiné à occuper la niche libérale. Mais son chef, l’oligarque Mikhaïl Prokhorov, vient d’en claquer la porte, ne supportant plus d’être instrumentalisé. Ce scandale prive le parti de toute chance de passer la barre des 7%.


Selon les derniers résultats du centre d’analyse indépendant Levada, la moitié des Russes veut conserver le statu-quo politique, tandis que l’autre moitié se dit prête à de grands changements. Une priorité pour Russie unie : atteindre le taux de participation de 50% aux élections, ce qui lui permettrait de revendiquer le soutien de la majorité des électeurs.


L’augmentation du taux de participation intervenait souvent dans les régions à la faveur de pressions administratives, notamment sur la partie de l’électorat dont les salaires et minimas sociaux dépendent directement des décisions prises par le parti au pouvoir. Dans les régions de Tchétchénie et du Daghestan, le taux de participation aux élections régionales d’oc­tobre 2010 a été égal et même par endroits supérieur à 100%, et 95% des suffrages se sont portés sur Russie unie. Face à ces résultats, les trois partis d’opposition ont quitté la Chambre de la Douma en signe de protestation en accusant Russie unie de fraude massive. La Commission électorale centrale et la Haute cour de justice ont pourtant confirmé la légitimité du scrutin et jugé insignifiantes les enfreintes aux règles électorales. À la suite de quoi les partis d’opposition ont remis en cause l’indépendance des autorités, mais l’affaire resta sans suite.


La fraude électorale est devenue si évidente en Russie que la population a perdu toute con­fiance dans le processus. D’après les données récentes du centre Levada, 52% des électeurs russes sont prêts à aller aux urnes contre 53% en 2007, le taux des indécis ayant grimpé de 5 points. Parmi ceux qui n’iront pas voter, 34% considèrent que leur participation n’aura aucune incidence sur la situation politique. Et une majorité écrasante des sondés (70%) sont persuadés que les députés « ne tiennent pas leurs promesses électorales » .


Les politologues s’accordent à dire que de nombreux partis ont gauchisé leurs slogans pour répondre aux revendications croissantes de la population, notamment en matière de justice sociale. Mais le courant porté par l’idéologie nationaliste dispose aussi de ses relais politiques.

L’électorat nationaliste est courtisé par le LDPR qui propose de faire adopter des lois relatives à la défense du « peuple russe » , par le KPRF qui prône un « socialisme russe » , et par le parti Juste Cause qui s’oppose à l’immigration des Caucasiens et des Asiatiques.


Une chose est certaine : le Kremlin a tiré les leçons des derniers scrutins qui ont eu lieu en Russie, en Ukraine et au Belarus. À savoir que le déroulement des élections convient d’autant mieux au pouvoir en place que les partis échappant à son contrôle sont moins nombreux à participer au scrutin.

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Infographie de Niyaz Karim

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