Crédits photo : Tatiana Shramchenko
« Bonjour et bienvenue dans notre théâtre ! » Une jeune fille fardée, coiffée d’un béret, ouvre la porte et nous invite à entrer. Nous sommes dans un appartement. Sur les étagères, sont disposés des bibelots, et sur les murs, des photographies anciennes. Une odeur de café et de pâtisseries embaument la pièce. « Parlez-vous français ? », demande-t-elle dans la langue de Balzac. « Parlez-vous français ? », traduit un jeune homme à lunettes, avec un accent exagéré. Au Théâtre du Goût, contrairement au théâtre conventionnel, l’entrée ne commence pas par le cintre, comme l’assurait Stanislavski, mais par un accueil chaleureux.
Une histoire d’atmosphère
Le spectacle « Mime-Café » est sur le point de commencer. Nous nous rendons dans la cuisine, d’où parvient une atmosphère de cafés parisiens. Les serveurs se glissent entre les tables pour nous proposer le menu. Aujourd’hui, le Théâtre du Goût propose des friandises aux doux noms de « Sourire d’Amélie », « Etincelle », « La vie est belle » et « Cœur brisé ». Il y en a pour tous les goûts et toutes les humeurs. Avant le début de la pièce, les acteurs (ils sont quatre), accostent les visiteurs en mimant, sans paroles, tandis que le spectateur discute, rit, plaisante et participe avec plaisir à l’ambiance bon enfant qui règne dans le théâtre.
Difficile, par ailleurs, de qualifier cet évènement de spectacle. « Mime-Café » est un conte, l’histoire d’une journée passée à Paris.
« C’est un spectacle d’atmosphère », explique Iouri Makeev, le directeur du Théâtre du Goût. « Le plus important pour nous, c’est que les gens se plongent dans l’atmosphère de cette ville, de la musique, et de leur transmettre un ressenti. L’histoire est différente à chaque fois, et chacun a un but différent : certains viennent dévoiler leur amour, d’autres veulent visiter une ville romantique tout en restant chez eux ».
Les conteurs sont des acteurs-mimes, et les héros sont les spectateurs, ou plutôt, les visiteurs de ce singulier café. « Nous proposons à nos amis, ceux qui viennent nous voir, de devenir des participants, et pas seulement des spectateurs passifs », ajoute Iouri Makeev. D’autant qu’il ne s’agit pas seulement pour le public de communiquer avec les acteurs. Les spectateurs sont invités à préparer eux-mêmes leur propre dessert, à le décorer, laissant libre cours à l’imagination de chacun.
Du pain et des jeux
Avant de devenir un concept indépendant, le Théâtre du Goût a collaboré avec la Confédération internationale des syndicats du spectacle, ainsi qu’avec le Festival International de Théâtre Tchékhov. A la recherche d’une forme d’expression propre pendant trois ans, les acteurs ont essayé de comprendre quels sujets les rapprochaient du public. C’est alors qu’est né le Théâtre du Goût.
« Le théâtre est un puissant instrument de transmission de l’information. La cuisine n’en est pas moins puissante pour le théâtre, car dans la cuisine, se racontent des histoires, une tradition, une culture, etc. Et il s’agit là d’un moyen d’expression également fort. Derrière chaque assiette se cache un homme. Derrière chaque baguette, crêpe ou grappe de raisin se cache un homme, et cet homme est intéressant », explique le directeur du Théâtre du Goût.
Peu à peu, d’autres thèmes familiaux sont venus graviter autour de la philosophie du théâtre. La maison, les enfants, et toutes sortes d’histoires qui se racontent dans les cuisines des familles. Les gens viennent souvent aux représentations en famille, avec leurs enfants.
L’ouverture du Théâtre a eu lieu non sans quelques difficultés : des fonctionnaires souhaitaient mettre fin au projet, pensant qu’il s’agissait d’un simple café de rue. Pourtant, la troupe du Théâtre du Goût est composée uniquement d’acteurs professionnels, et vous y trouverez difficilement un chef cuisinier.
Enfin, un lieu a été dégoté : deux appartements ont été réunis pour transformer le tout en un théâtre douillet et original. « Un petit théâtre familial chaleureux », sourit avec malice Iouri Makeev. « Un espace réduit, où il est difficile de se cacher derrière quelque chose. Les spectateurs peuvent sentir immédiatement si les acteurs jouent faux ou non ».
« Paris viendra à nous »
L’idée du spectacle « Mime-Café » a fait surface il y a un an. A l’époque, les acteurs du Théâtre du Goût collaboraient régulièrement avec la troupe parisienne Cirque Ici et testait avec elle ses mises en scènes. Ces mini-spectacles ont tellement plu aux Français que ces derniers les ont invités à Paris. Mais en raison de difficultés financières imprévues, la troupe a dû annuler sa tournée. « Eh bien, puisque nous n’allons plus à Paris, c’est Paris qui viendra à nous », ont lancé les acteurs. C’est ainsi qu’est née l’idée du café, avec pour serveurs, des mimes. Pourquoi des mimes ? Parce qu’aucun des acteurs ne parle français. Pourquoi un café ? Parce que la scène se déroule à Paris.
D’ailleurs, la Tour Eiffel fait partie des personnages. Elle n’est ni dessinée au mur, ni en carton, posée comme un décor sans vie sur les planches du théâtre. Ce sont les acteurs qui la représente, construisant de leurs membres une pyramide.
Malgré son format insolite, le spectacle a été une belle surprise, récoltant les applaudissements du public. En se rendant au Mime-Café, les spectateurs ne savent justement pas ce qui les attend, ni comment se comporter. « Lorsqu’on me dit : je suis venu ici pour manger, je suis déçu. Car tout ceci n’a pas été conçu dans le seul but de manger », confie Iouri Makeev. Mais ils sont une minorité. La plupart jouent le jeu, entrent dans le spectacle, se mettent à sourire en guise de réponse, plaisantent et s’amusent avec les acteurs. Pousser chacun à s’ouvrir un peu plus, tel est la finalité de ce spectacle.
Cette heure passée au Théâtre du Goût s’est envolée, mais nous avons tout de même pu prendre le café du matin, accompagné de son traditionnel croissant, sans oublier bien sûr de lire le journal, préparer des confiseries, danser, déguster du fromage avec un verre de vin, et admirer la Tour Eiffel qui brille de mille feux... Aujourd’hui, Paris était étonnamment calme.
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