Révolutions arabes : la Russie reste sur le quai

Image de Bogorad.

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J’en suis encore perplexe : comment le Kremlin a-t-il pu commettre une erreur de jugement aussi gros­sière ?
J’en suis encore perplexe : comment le Kremlin a-t-il pu commettre une erreur de jugement aussi gros­sière ? Dès le moment où Moscou a choisi de ne pas opposer son veto à la résolution 1973 du Conseil de sécurité, Kadhafi était fichu. Il avait la plus puissante alliance militaire du monde sur le dos et pratiquement aucun appui. La Jordanie, le Qatar et les Émirats arabes unis ont soutenu militairement l’OTAN. Si la Russie avait envoyé une frégate symbolique vers les côtes libyennes, elle se serait assuré une place d’honneur parmi les futurs vainqueurs. Mais au lieu d’être cohérent, Moscou s’est presque immédiatement empressée de condamner l’opération menée par l’OTAN. Or, le dictateur avait perdu confiance en la Russie suite à son vote à l’ONU (abstention) tandis que les rebelles voyaient en elle un ennemi. Au final, se livrant à une m­arche arrière humiliante, Moscou a dû reconnaître, sur le tard, que les rebelles étaient le gouvernement légitime de la Libye.
 
Alors pourquoi un aussi mauvais calcul ? Les racines de cette erreur sont à rechercher dans la situation intérieure de la Russie et sa mentalité. Les humiliations de l’après-guerre froide, certaines réelles, d’autres fantasmées, ont créé des réflexes anti-occidentaux. Les décideurs et l’opinion publique russe voient la poli­tique mondiale comme un jeu à somme nulle, où le gain de l’un fait la perte de l’autre. Cela rend les Russes instables et les place sur la défensive. Ils vénèrent la souveraineté – comprise comme une sorte de droit des gouvernements à faire ce qu’ils veulent à l’intérieur de leurs frontières nationales. Ils sont incapables d’accepter, et peu enclins à le faire, des concepts tels que l’« intervention humanitaire » et la « responsabilité de protéger », sur lesquels reposait l’intervention en Libye. Cela conduit à une situation récurrente dans laquelle la Russie se retrouve du mauvais côté de l’histoire, s’efforçant de venir au secours de dictateurs ayant atteint leur date de péremption depuis longtemps. Cela a été le cas avec Milosevic, Saddam, Kadhafi, et l’on se demande si cela ne se répétera pas une nouvelle fois avec Bachar el-Assad.
 
La politique mondiale est aujourd’hui une interaction entre intérêts et valeurs, opportunisme et idéalisme. Rejetant l’évidence, les Russes croient que tout événement qu’ils ne maîtrisent pas – comme les révolutions a­rabes – est par défaut une sinistre conspiration, généralement occidentale et liée au pétrole. Les dirigeants russes sont en me­sure soit d’aggraver ce réflexe, soit de l’abandonner.

Konstantin von Eggert est un ancien correspondant au Moyen Orient.

 

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