L’écho de l’âge d’or

Crédits photo : RG.

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Ce mois d’août marque les vingt ans de la tentative du putsch de Moscou pour préserver l’URSS

Ce mois d’août marque les vingt ans de la tentative du putsch de Moscou pour préserver l’URSS. Suite à la chute du Comité d’Etat pour l’état d’urgence, le drapeau de la nouvelle Russie démocratique se hisse sur les décombres des barricades de rues, et le pays voit l’arrivée au pouvoir du charismatique et romantique Boris Eltsine. En plus d’un nouveau pays, les Russes voient apparaître un nouveau système médiatique. L’un de ces nouveaux piliers de la liberté d’expression est la station de radio Ekho Moskvy (Echo de Moscou). Comment, durant deux décennies, cette station a pu conserver l’esprit du « siècle d’or » national du journalisme ? Le rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou, Alexeï Venediktov, a accepté de raconter son histoire à La Russie d’Aujourd’hui.

En juin 1990, Gorbatchev a signé une loi sur les médias qui autorise les stations de radio non gouvernementales. Mes amis, qui travaillaient à l’époque pour des stations gouvernementales, dégoûtés de faire de la propagande, ont décidé de créer une station alternative. Il se sont inscrits et ont reçu le numéro d’enregistrement numéro un. C’était le 22 août. Les copains m’ont appelé et m’ont dit: « Tu es sur Moscou? Tu as des vacances? (à l’époque, j’étais professeur des écoles). Tu pourrais rester avec nous jusqu’au 1er septembre? ». J’ai répondu : « Je n’écoute pas la radio, je n’y connais strictement rien, et je ne comprends même pas comment ça peut marcher sans fil. Mais je viens, pourquoi pas ? ». Et je suis venu. Et ils m’ont demandé: « Dis, il y a quelqu’un à ton département de  gestion de l’éducation ? ». J’ai répondu que oui. « Prends lui une interview le 29 août ». Ce fut ma première interview pour Ekho Moskvy.

Cette radio a émergé comme canal d’information alternatif. C’était l’année 1990. Partout en Union soviétique, on voyait arriver des événements qui n’étaient pas couverts par les organes centraux des médias de masses. Un mois après sa création, la question de la fermeture d’une radio nuisible fut soulevée lors du Conseil présidentiel, parce que nous étions les seuls à relater qu’en septembre, les troupes marcheraient sur Moscou. Gorbatchev s’est indigné : « D’où sort cette radio pirate qui se permet de dire ce qu’elle ne doit pas dire ? ». A ce moment, nous étions installés dans la rue Nikolskoï, à deux cents mètres du Kremlin. C’était la première attaque dirigée contre nous par les autorités moscovites. C’est comme cela que, petit à petit, nous avons gagné en notoriété.

En 1994, il devint clair qu’il était temps d’arrêter de faire de l’amateurisme pour bâtir une entreprise sérieuse. On attendait déjà beaucoup de nous, mais notre matériel était vieux, les salaires, maigres, et nous ne pouvions pas engager de nouvelles personnes. Nous avons commencé à chercher des investisseurs. Et finalement, deux groupes se sont imposés. C’était les banquiers Weiner de Chicago, et le groupe de Goussinski. Les Weiner donnaient beaucoup d’argent, mais exigeait le contrôle de la politique éditoriale. Goussinski donnait moins, mais disait: « Que les journalistes choisissent eux-mêmes leur rédacteur en chef ». C’est à ce moment que nous avons décidé : nous devions stipuler dans la charte que les journalistes choisissent leur rédacteur en chef, et les actionnaires, valider. En d’autres termes, les actionnaires ne peuvent pas nommer le rédacteur en chef dans le dos des journalistes. C’est pourquoi le paquet d’actions a été vendu à Goussinski. Il a rempli toutes ses obligations.

Plus tard, Ekho Moskvy est passée sous le contrôle de Gazprom-média. J’étais au courant de tout dans les moindres détails, j’ai assisté aux négociations, j’y ai notamment rencontré Poutine. J’ai réalisé que le pouvoir avait pris la décision de contrôler la politique éditoriale de toutes les chaînes de télé et radio. Et je comprenais parfaitement qu’il s’agissait d’une décision politique absolue. Mais difficile de lutter contre. Ils prennent en otage, jettent un investisseur en prison, puis un deuxième. Quelle arme possédez-vous contre ça ? Aucune. C’est pourquoi je me suis dit : on continue de faire simplement notre travail, même si l’on sait bien qu’ils viendront fermer la station. Et j’ai affirmé haut et fort : « Nous ne nous mêlerons pas de votre politique, mais s’il y a des couacs, nous les critiquerons ». Poutine a écouté, et le résultat est là : nous critiquons.

Nous avons eu une discussion en août 2000 avec Vladimir Poutine, et il m’a clairement expliqué en quoi le rédacteur en chef était responsable de ce qui se passait sur sa radio. Mais ils sont aussi conscients que pour que l’opération fonctionne, Ekho Moskvy doit avoir la réputation adéquate. Sinon, Hillary Clinton ou Barak Obama ne viendront jamais s’exprimer sur une station moscovite de Gazprom, alors qu’ils le feront sur une radio indépendante des actionnaires et du gouvernement. Et ils viennent. Ils comprennent qu’Ekho Moskvy est une entreprise au sens noble du terme.

Extraits tirés de l’interview d’Elena Vanina publiée dans le magazine Afisha.

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