Anton Chaguine joue le rôle d'un homme jeune, mais déjà amoché. Photo : kinopoisk.ru
Dans vos films, vous traitez toujours de situations extrêmes. Pourquoi ce goût des sujets « catastrophes » ?
L’extrême correspond à notre quotidien. Pas forcément extérieur, il peut révéler notre état intérieur. Comment vivre, comment échapper au monde extérieur, ces questions sont toujours pour nous d’une actualité brûlante. Mais ici, c’est le « Tchernobyl » de l’humain qui m’intéressait. Et l’idée n’était pas de faire une superproduction sur Tchernobyl ou de faire un documentaire sur les présumés coupables. Cela fera sans doute un jour l’objet d’un autre film qui sera différent. J’ai toujours été intéressé par les situations à la frontière de l’humain.
Avec un tel sujet, les spectateurs s'attendent à un film catastrophe, à
du spectacle. Or, vous êtes plutôt dans le drame psychologique. Ne
craignez-vous pas de décevoir les attentes ?
Oui, le sujet s’écarte très vite de l’explosion du réacteur pour se
concentrer sur le héros du film, la vie de ce jeune instructeur du
parti, et de sa petite amie. Comment ils ont vécu les événements de
Tchernobyl. Mais c’est une question de sensibilité du public : suivre
les auteurs ou bien attendre d’eux quelque chose qu’ils n’avaient pas
en tête.
À
l’écran, tout est fait pour emmener le spectateur : après la première
scène, plutôt banale, c’est un tout autre genre qui commence.
L’histoire ne retrace pas seulement la période de Tchernobyl. Il évoque aussi une mentalité très actuelle...
Je pense qu’on peut caractériser cet état ainsi : la mort est déjà là,
mais la vie ne le sait pas encore. Et pendant ses dernières minutes
cette vie connaît une floraison particulièrement pétillante. Elle
fascine, hypnotise pour ne plus lâcher son héros. Et des petites choses
stupides de la vie quotidienne peuvent parfois changer radicalement le
destin de chacun, comme lorsque la fiancée du héros casse l’un de ses
talons. Tous deux se retrouvent alors dans un restaurant au lieu de se
rendre à la gare. Et comme le héros est un ancien batteur, il se joint
à un ami musicien, et tous deux vont ainsi gagner de l’argent, tentant
de « désactiver » les doses de radiations par des rasades vin rouge...
De drôles de circonstances qui tracent des routes salvatrices à leur
façon. Ce type de paraphrase qui survient dans la vie nous est bien
connu : tu t'acharnes à améliorer la situation, mais au final tout
redevient comme avant.
Dans les films américains, il y a toujours un héros pour sauver le
monde. Dans vos films, les personnages ignorent le danger et
choisissent le chemin de la facilité qui leur est familier. Est-ce un
trait de caractère national ?
Pour rester modéré, je dirais que c’est une tendance nationale. Telle
est notre histoire : nous avons vécu beaucoup de choses. Tout le XXème
siècle a été ponctué d'événements tragique, et notre génotype a dû
inévitablement s’adapter à ces conditions. Dans le mal, nous cherchons
le bien. Dans les adieux nous trouvons la réjouissance, et nous
trouvons la joie de vivre là où, semble-t-il, l’herbe ne peut pas
pousser. Bien sûr, c’est lié à notre histoire et à notre caractère :
plus complexe, moins stéréotypé, et sans doute pour cette raison aussi
intéressant au niveau créatif. Il est moins victorieux que le cinéma
standard américain, et à mon avis, c’est une très bonne chose que nous
ne suivions pas le modèle américain. Bien sûr, on fait aussi d’autres
films aux
États-Unis, plus proches de notre vision...
Dans un certain sens, le style de votre film rappelle les méthodes du
Dogme
danois : la caméra portée à la main, l’absence de lumière artificielle et de musique d’ « atmosphère ».
Tout a été filmé de manière assez conservatrice. Quand j’ai essayé d’imaginer les scènes filmées à l’aide d’un trépied, j’ai compris que tout s’effriterait. C’est pour cette raison que les scènes filmées par le talentueux chef opérateur roumain Oleg Mutu ont été prises caméra à la main, d’autant que la caméra est toujours à hauteur du personnage, mais ne le dépasse jamais. Ce qui fait que le spectateur est constamment en contact avec le héros.
Où avez-vous tourné ce film ?
Nous devions montrer Pripyat telle qu’elle était avant l’explosion.
Nous avons trouvé deux villes ressemblantes, l’une à Donetsk, l’autre
dans la région de Zaporojskyi. Il a donc fallu filmer, envers et contre
les publicités sur les murs, pour que tout soit comme le Prypiat de
1986, une petite ville propre, cultivée et jeune.
Comment s’est fait le choix des acteurs pour les rôles principaux ?
Anton Chaguine est quelqu’un de très talentueux et je le pressentais.
Un jeune gars de la région de Briansk, venu à la capitale. En fait, il
avait beaucoup plus de chose en lui que ce qu’il a eu le temps de
montrer à l’écran, et je n’ai eu qu’à lui demander « d’appuyer sur les
bons boutons », comme il dit lui même. Je lui ai expliqué que le
personnage n’est pas un de ces héros d’aujourd’hui très populaire, un
de ces jeunes taureaux vigoureux sur les couvertures de magazines, mais
un gars de la campagne, déjà un futur ivrogne au foie malade. Un homme
jeune, mais déjà bien amoché. Il veut faire carrière dans le parti et
c’est la seule chose qui le motive à ne pas boire.
En
ce qui concerne la jeune fille, c’est une première pour Svetlana
Smirnov-Martsinkevitch, originaire de Saint-Pétersbourg. Elle m’a plu
car elle n’a pas cette « plastique » que toutes les filles ont
aujourd’hui, ni cette expression du visage une peu pédante. C’est une
de ces « filles soviétiques douces », qui restent très féminines.
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