Un P comme Perme. Photo : Darya Gonzales
Leur réaction est tout à fait compréhensible. Trois ans auparavant, les jeunes gens d'ici ne défilaient pas en shorts aux couleurs criantes, n'arboraient pas de t-shirts à l'effigie de Mickey Mouse et ne portaient pas d'énormes lunettes Ray Ban. Il faut dire, qu'à cette époque, les écrans plasma accrochés aux murs dans les hôtels de Perm ne captaient pas non plus le canal ultra branché « Dojd » (La Pluie).
Pour l'heure, il est encore risqué d’appeler Perm le trendsetter (terme anglais qui signifie littéralement une personne qui fait ou établi la tendance) de Russie. Il serait d'ailleurs étrange de la qualifier ainsi après une période aussi courte. La plupart des choses présentées à Perm, les habitants de Londres, d'Amsterdam et de Moscou les ont déjà vues. Or, le « phénomène » débarque maintenant dans les villes régionales de Russie. On peut dès lors parler d'exportation de la culture.
La Perm d'aujourd'hui est un exemple par excellence de la façon dont un recoin éloigné de Russie s'épanouit sans la participation immédiate du Centre fédéral. Matriochkas et danses folkloriques « à la kalinka-malinka », longtemps considérées comme la seule et unique façon d'exprimer la vie culturelle régionale, sont délaissées dans les années 1990, reléguées au passé.
A présent, la légendaire poupée russe ne s'affiche que sur les écrans, installés dans une manufacture de tabac désaffectée, transformée en salle d'exposition du genre de Krasnyi Oktiabr (Octobre Rouge), un important complexe d'art moscovite. Dans les anciens ateliers de la manufacture, sous des tuyaux rouillés et sur des murs délabrés, ont trouvé place les tableaux des artistes modernes de Tver, de Saint-Pétersbourg et de Nijni Novgorod. Ce projet artistique fait partie du festival Nuits blanches de Perm qui s’est tenu du 1er au 27 juin.
Au début de l'été, toute la ville de Perm est transformée en galerie d'Art. À l'entrée de la Grande salle des concerts de la ville, un groupe de motards rouges de taille impressionnante enfourchaient leurs engins de fer, ou plutôt de bois. Cet ensemble sculptural fut présenté par un atelier d'artistes-ébénistes de St-Pétersbourg, les « ProfessorS ». Devant la bibliothèque Gorki est « tombée » une pomme géante de 3 mètres de diamètre. D'un côté de cette Big Apple, un panneau de céramique, de l'autre, un bas-relief en brique. Dans la quasi-totalité des parcs de Perm se trouvent des ikebanas faits de branches sèches et de bois mort. Sur les berges de la rivière de la ville ont été échafaudées de grandes lettres P : P comme Perme.
Des artistes du Mexique, d'Argentine, de New-York ont décoré la ville de graffitis. Photo : Darya Gonzales
Mais la plus importante réalisation artistique du Pop-Art reste pour autant la décoration des clôtures de la ville, signées par des graffitis de tagueurs du monde entier. La superficie totale des espaces tagués touche les 200 kilomètres carrés. Serguei Arsseniev, le chef du projet pop-art raconte : « Nous avons invité des artistes du Mexique, d'Argentine et même de New-York. Ils ont travaillé chacun dans le style de leur pays. Je pense que ça demande du courage à un artiste de soumettre son œuvre au jugement des gens de la rue; et ça demande de l'Art aussi. Donner une bonne impression dans une galerie d'art est à la portée de tout le monde. Là, les conditions sont vraiment idéales : la blancheur des murs met en valeur presque n'importe quel tableau. Tandis que produire un bon effet dans l'environnement que fournit la rue – il est plus difficile d'y arriver ».
Les barrières de sécurité des sites de construction et les poteaux des autoroutes surélevées ont été transformés en de mornes zones industrielles en hymne à l'urbanisme.
Le festival Nuits blanches a duré 26 jours sans aucun temps mort. Parmi les noms illustres qui ont animé le festival : Pascal Von Vroblevsky, maestro Théodore Currentzis et son orchestre Music Aeterna, ainsi que le fameux McGregor qui n'a même jamais posé son pied à Moscou.
Chao La Ventura avec Manu Chao en tête a animé le festival La Musique de la Liberté. « Ce n'est pas par hasard qu'il a été choisi et invité. Le musicien antimondialiste au cœur de rocker est exactement ce qu'il fallait à un festival comme le nôtre », a confié l'organisateur de l'événement, Alexandre Tcheparoukhine.
La clôture des Nuits Blanches fut marquée par le festival des arts multimédia Otkrityi Kosmos (Espace découvert). Le clou du programme : le saut du champion du monde du saut en parachute, Valéri Rozov. Cet « homme-oiseau » plongea d'une hauteur de 4 000 mètres droit au cœur de la ville de Perm. Au même moment, au sol, des personnages sur échasses, déguisés en extraterrestres de toutes sortes, longeaient l'Esplanade.
La ville de Perm est remplie de mystères. L'un d'eux est le théâtre U Mosta (Sous le pont) crée par Serguei Fedotov, qui l'année dernière s'est vu discerné un prix spécial du jury, le Masque d'Or. Sa troupe théâtrale donne trois ou quatre spectacles par jour, les spectateurs ne manquent pas. La plupart des invités et hôtes du Festival viennent de l'extérieur, ils ne sont pas de Perme. Il y a entre autres des spectateurs venus de Moscou. Ce qui est loin d'attrister les organisateurs du festival !
« Des indifférents, il y en partout... et ils sont en majorité », estime le vice-président du Gouvernement de la région de Perm, Boris Milgram. « Notre mission dans ce cas consiste à développer un penchant pour la nouveauté. Il faut donner aux gens le choix de pouvoir décider eux-mêmes ce qu'ils veulent voir et ce à quoi ils souhaitent participer. Cette liberté de choix, offerte aux gens, devrait à son tour aiguiser leur curiosité. On n’obtient pas tout d'un coup ! ».
L'exemple de Perm est loin d'être typique de toute la Russie. Les problèmes, auxquels font face les organisateurs d'évènements culturels, sont bien connus : ou bien les autorités locales refusent leur aval, ou bien le lieu où il est prévu d'installer une galerie d'art est qualifié « de sinistré et voué à la destruction », pour ensuite y bâtir un centre d'affaire.
À Perm, c'est tout le contraire. Les autorités locales se sont mis dans la tête d'en faire la capitale culturelle de l’Europe et n’épargneront aucun moyen d'atteindre ces fins. Les Nuits Blanches ont coûté cette année 172 millions de roubles (4,3 millions d’euros).
Le concert de Manu Chao. Photo : Darya Gonzales
Or, malgré tous les efforts déployés, la ville de Perm n'obtiendra pas le statut de capitale culturelle de l’Europe. Ni en 2020, ni en aucune autre année. L'explication en est toute simple. Tous les étrangers que j'ai rencontrés sourcillaient un peu en entendant cette expression de « capitale culturelle européenne ». Par exemple, la designer hollandaise Anne Kohen s'est immédiatement demandée : Is it really Europe? Il est vrai que chez nous, on est habitué à penser que l’Europe se termine aux confins de l’Oural. Mais en Europe, on présume autrement. Donc, en ce qui concerne une entrée fracassante en Europe, les participants du festival ont des doutes. Par ailleurs, à l'échelle nationale, Perme est tout à fait capable de gagner le bronze. C'est la troisième ville de Russie, après Moscou et Saint-Pétersbourg en termes de taille et, probablement, de niveau culturel.
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