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Qui vivra verra
C'est bien connu, les Russes n'aiment pas beaucoup planifier leur vie. Une question aussi innocente que « quels sont vos projets pour l'été prochain ? » a toutes les chances de les mettre dans l'embarras. Votre interlocuteur russe répondra probablement d'un philosophique haussement d'épaules : « qui vivra verra ». Ces vingt dernières années, alors que les événements dans notre pays se succédaient à vitesse grand V, nous avons été habitués à penser qu'il était impossible de planifier sa vie plus d'un mois, voire plus d'une semaine à l’avance. L'ancien proverbe russe « l'homme propose et Dieu dispose » est plus que jamais d'actualité.
Pourtant, c'est bien en Russie qu'est apparue, il y a quelques mois, une association quelque peu originale : Russie 2045. 2045 est la date approximative à laquelle notre pays devrait avoir inventé un corps artificiel, capable de remplacer intégralement le corps physique des hommes.
De la science fiction à la réalité
Surtout, ne riez pas, c'est très sérieux. L'organisation réunit non seulement des amateurs de science-fiction et des fans du film Avatar, mais aussi de très sérieux savants, reconnus mondialement, notamment le docteur Viatcheslav Riabinine, créateur du « foie bioartificiel », le professeur Vitali Dounine-Barkovski de l'Académie russe des sciences, et l'un des apôtres de l'immortalité par la création de corps artificiels, le professeur Alexandre Bolonkine.
L'histoire de la vie de ce dernier est si dramatique qu'elle mérite qu'on s'y attarde. Il fut en son temps l'un des plus éminents scientifiques soviétiques, créateur de moteurs de fusées pour les véhicules spatiaux. Mais, dans les années 1960, il rejoignit le combat d'Andreï Sakharov et intégra un mouvement dissident. Alexandre Bolonkine fut capable de construire le polycopieur grâce auquel on imprima des centaines de milliers de pages de les œuvres de Sakharov et de Soljenitsyne. Naturellement, cette activité ne pouvait échapper à l'œil omniprésent du KGB. Bolonkine écopa de quatre ans de prison, mais il ne retrouva vraiment sa liberté qu'au bout de 15 ans, sous l'ère Gorbatchev. Pour des raisons évidentes, il ne voulait pas rester dans l'Union soviétique et a déménagé aux Etats-Unis, où il a travaillé plusieurs années avec le Pentagone.
Ces dernières années il s'est principalement consacré à l'idée de l'immortalité humaine. De l'avis du professeur Bolonkine, la solution à ce problème réside dans le domaine des systèmes informatiques. Avant qu'un être humain meur, le contenu de son cerveau est copié sur une puce spéciale et la conscience continue d'exister sous une forme nouvelle : dans un corps artificiel. Les scientifiques estiment que la création de ces technologies est pour bientôt. Le principal écueil est le manque de financement, car dans la communauté scientifique, l'activité la plus populaire et la plus rentable à l'heure actuelle est la création d'organes artificiels, c'est-à-dire des « pièces de rechange » pour le corps biologique. Mais le professeur Bolonkine veut aller beaucoup plus loin en visant l'immortalité. Et cela n'est possible, selon lui, qu'en créant des corps artificiels faits de matières plastiques et d'alliages.
Demain l'éternité
De tels corps artificiels présenteraient de véritables avantages que le manifeste du mouvement Russie 2045 décrit de façon très éloquente. Premièrement, ces corps seront très utiles aux services d'urgence. Par exemple, dans des accidents de réacteurs nucléaires, comme ceux survenus à Fukushima récemment, l'avatar entrera facilement dans n'importe quelle fournaise, car il sera pratiquement indestructible. Dans l'exploration spatiale et la conquête des planètes lointaines, il sera également beaucoup plus économique d'utiliser des avatars. Et quelques perspectives intéressantes s'ouvrent également dans le domaine de la gérontologie et, disons-le franchement, dans le domaine de l'apparence ! Plus de peau flasque ni de cellulite. La vieillesse est abolie à jamais et,avec elle, la souffrance liée l'imperfection de l'apparence physique.
Cependant, cette initiative soulève quelques questions. Nous sommes habitués aux canons de la beauté hollywoodienne et il est probable que le corps artificiel soit également réalisé selon ces modèles. Et si je décidais de m'offrir le visage et la silhouette de Marilyn Monroe ? Pas de problème allez-y ! Mais qui peut garantir que des millions d'autres femmes ne souhaiteront pas se doter d'une apparence similaire ? Convenez-en, ce serait encore pire que de rencontrer dans une soirée quelqu'un qui porte la même robe que vous. Imaginez : je me promène, très fière, splendide copie de Marilyn Monroe, et voilà que je rencontre deux sosies. Plus que de la science-fiction, c’est un véritable film d'horreur !
Quant à l'immortalité, elle soulève aussi quelques doutes. Le professeur Dounine-Barkovski, expliquant les brillantes perspectives de la création de corps artificiels, s'exclame joyeusement : « Imaginez, avec l'aide de l'intelligence artificielle, des millions d'Ivanov, de Johns, de Lee et de Singh pourront ne pas mourir ! » Pour l'évolution de la Terre, l'immortalité de « millions d'Ivanov et de Johns » est-elle si importante et nécessaire ? 90% de la population a du mal à savoir comment remplir ses week-ends et peine à choisir entre regarder la télévision et aller faire du shopping. Et si cela ne durait pas quelques décennies, mais pour toujours ? Imaginez une telle perspective. Progrès ou véritable torture ?.
« La mort vous va si bien »
Et pourtant, je suis sûre que ceux qui désirent prolonger leur existence sont nombreux. Parmi eux, Steven Seagal, qui a récemment écrit une lettre au Premier ministre russe Vladimir Poutine en le priant de le rencontrer pour évoquer une possible coopération avec le projet Russie 2045. Les arguments de l'acteur sont assez convaincants: « Nous pouvons restaurer voire recréer intégralement les parties du corps de ceux qui souffrent ou meurent de maladies et de blessures. Par exemple, un homme qui a perdu ses jambes dans un accident en obtiendra de nouvelles, et les estropiés seront en mesure de retourner à une vie normale. Cela pourrait constituer une percée scientifique jamais-vue dans l'histoire de l'humanité. Je serais honoré de faire partie de ce mouvement ». L'acteur rappelle qu'il a des racines russes, et qu'il se considère même comme Russe. « Je suis fier que ce soit précisément en Russie qu'on ait compris la nécessité de développer ces technologies, et que les précurseurs soient de grands scientifiques et chercheurs russes. Grâce à cette avancée, l'humanité sera en mesure de faire une percée sans précédent vers une qualité de vie nouvelle et meilleure », a martelé l’acteur.
La réponse de Vladimir Poutine n'est pas encore connue. Disons, pas officiellement. Nous pouvons toutefois tenter de deviner ce que Poutine a répondu à Seagal. Quelque chose du genre : « Mon vieux, Obama et Sarkozy ont déjà réservé plusieurs corps pour eux et leurs proches. Tu seras le 1125e sur la liste d'attente ».
Personnellement, je n'ai rien contre l'idée d'un Steven Seagal éternelle. Mais si cette technologie est accessible pour lui, pourquoi des personnes à la réputation moins noble ne pourraient-ils en profiter ? Ben Laden, par exemple, s'il était encore vivant. Car si l'humanité adopte les corps artificiels, le problème du terrorisme et de la guerre sont définitivement réglés : dans 30 ans, nous vivrons à tout jamais!
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