L’Homme et l'Espace

Le cosmodrome de Baïkonour. Photo : Ria-Novosti

Le cosmodrome de Baïkonour. Photo : Ria-Novosti

Cinquante ans après le vol de Iouri Gagarine, beaucoup de questions restent ouvertes sur l'utilisation faite par l'homme de l'espace

Au cours de ce demi-siècle, l’Union Soviétique n’a pas cessé de peaufiner sa plate-forme pilotée en la rendant pratiquement parfaite. Le programme lunaire La Sonde a eu pour effet corollaire l’apparition de la série de vaisseaux Soyouz qui se sont progressivement transformés en Soyouz-T, Soyouz-TM et finalement en Soyouz-TMA. Les Etats-Unis ont misé sur les navettes spatiales réutilisables capables de transporter sept astronautes. Chacune de ces solutions avait ses avantages.

Les vols spatiaux sont-ils réellement aussi dangereux que certains aiment à l’affirmer ? La vie humaine n’a pas de prix, mais si tant est que ce prix existe, seules les statistiques tragiques nous l’apprennent.

Ces statistiques nous apprennent les catastrophes suivantes: la mort du cosmonaute soviétique Vladimir Komarov à bord du vaisseau mal conçu Soyouz-1 et la panne de la valve de ventilation lors du retour des cosmonautes Volkov, Patsaïev et Dobrovolski à bord du Soyouz-11 (après cette panne les cosmonautes ont été obligés de porter leurs scaphandres spatiaux lors du lancement et du retour sur Terre). Deux accidents donc pour 110 lancements.

Les navettes spatiales américaines ont l’air nettement plus dangereuses dans ce contexte. Elles ont causé la mort de quatorze astronautes lors de la destruction des propulseurs d'accélération lors du lancement de Challenger en 1986 et à l’arrachement de l’écran thermique lors du retour sur Terre de Columbia en 2003. En fait, cela équivaut aussi à deux accidents pour 132 vols.

Toutefois, si les catastrophes soviétiques survenaient lors de la première étape de la mise en œuvre des programmes spatiaux, autrement dit lors de la « mise au point » des vaisseaux cosmiques, les échecs américains, quant à eux, étaient dus aux déficiences et à un manque d’attention survenant à un niveau technologique plus élevé. Cela nous permet de calculer un certain seuil de risques de 1,5% qui est inhérent aux vols en orbite indépendamment du degré de perfection des équipements actuellement utilisés. Ce qui est curieux c’est que les vaisseaux moins perfectionnés montraient un degré plus élevé de fiabilité: les statistiques des vols réussis peuvent être complétées par les vols des Vostok et des Voskhod soviétiques et des Mercury, des Gemini et des Apollo américains (y compris le vaisseau Apollo-13, qui a miraculeusement survécu à une panne grave).

Les progrès de l’automation et de la télémécanique ainsi que le perfectionnement des systèmes de commandement et de transmission de données ont progressivement réduit à zéro l’importance du « facteur humain » dans le domaine des vols spatiaux en aidant considérablement les hommes (aussi bien à bord des vaisseaux que dans les centres de commandement des vols) à remplir leurs missions. « L’exploration automatisée de l’Espace » continue à se développer et est régulièrement couronnée de succès. Et il n’est pas seulement question d’un bond qualitatif dans les équipements dont les groupements en orbite sont dotés. Durant les trente dernières années, les vaisseaux cosmiques s’aventurent sans crainte au-delà de l’orbite circumterrestre (l’un des exemples les plus brillants de ces dernières années est le vol de la sonde japonaise Hayabusa. La sonde a connu d’innombrables vicissitudes mais elle est bel et bien retournée sur Terre depuis la ceinture des astéroïdes).

L'arrêt de la compétition politique dans l’Espace a progressivement mis fin au développement intense des programmes pilotés. Décembre 2012 a marqué le 40ème anniversaire du dernier débarquement de l’homme sur la Lune. Les premiers calculs effectués par les concepteurs des vaisseaux spatiaux soviétiques prévoyaient que le vol vers Mars aurait lieu vers 1976. Dans les années 1970 on croyait sérieusement que dans les années 1990 l’humanité aurait déjà des sites habités en permanence sur la Lune et qu'on débarquerait sur Mars. On a pourtant trouvé une autre façon d’utiliser les ressources de la planète.

Les progrès technologiques donnent naissance à deux points de vue opposés. L’un d’eux veut que l’exploration de l’Espace soit de plus en plus opérée par des stations automatiques à l’exclusion de tout risque pour la vie humaine qui n’a pas de prix. Selon l’autre point de vue, les nouveaux matériaux et systèmes de commandement permettront à l’homme d’atteindre de nouveaux horizons loin de la Terre et y établir enfin la première tête de pont, la première colonie en dehors de la Terre. Et il faut bien le faire car, selon les partisans de ce point de vue, ce serait notre seul objectif.

Les deux points de vue extrêmes sont tout aussi surprenants l’un que l’autre. Le slogan hystérique de l’époque de la perestroïka en Union soviétique (milieu des années 1980) « Nous ne voulons pas de votre Espace!" (presqu’inévitablement suivi de plaintes au sujet des magasins vides) n’a pas d’avenir même sous sa forme la plus intellectuelle qui cherche à absolutiser les risques pour la vie des cosmonautes et qui substitue à la maxime énoncée ci-dessus le slogan « La Terre pour les hommes, l’Espace pour les machines.« Un point de vue similaire était partagé vers la fin de sa vie par l’académicien Vassili Michine, successeur de Sergueï Korolev. Il qualifiait ouvertement la fixation sur les vols pilotés des années 1960 d’erreur politique due à la course aux records sans véritable utilité pour l’économie.

Toutefois, le vénérable concepteur général ne niait pas ouvertement la nécessité des vols de l’homme dans l’Espace, car c’était insensé. Aux Etats-Unis, la période de réduction des programmes spatiaux, survenue après l’effondrement du monde bipolaire avec sa confrontation des systèmes, touche à sa fin. Les Américains se mettent à élaborer des projets de débarquement sur la Lune et sur Mars. La Russie dispose également de projets similaires. On ne cherche plus à établir des records, il est tout simplement temps de le faire.

C’est que nous sommes sur Terre et que l’Espace est au-dessus de nous, et cette raison suffit amplement. Konstantin Tsiolkovski (père de la cosmonautique russe) disait que la Terre est le berceau de l’humanité mais qu’on ne peut pas vivre éternellement dans ce berceau. Ces paroles sont devenues une rengaine et provoquent une allergie tout comme la blague récurrente des concepteurs russes de vaisseaux spatiaux qui répètent qu’il faut bien trouver un moyen de s’évader de cette planète. Ces paroles ont pourtant une explication psychologique fondamentale. L’homme finira inévitablement par franchir cette limite, il est ainsi fait.

Toutefois, les plans d’une conquête illimitée du système solaire sont tout aussi absurdes que les manifestations d'obscurantisme anti-cosmique. Compte tenu des technologies et des ressources actuelles de la planète, un tel super-projet engloutirait une part importante de la valeur ajoutée (sa répartition accuse déjà certains déséquilibres, pour ne pas dire plus). D’autre part, ce projet n’assurerait même pas un retour sur investissements. Les discours évoquant l’hélium-3 en provenance de la Lune et des gisements de minerais dans la ceinture des astéroïdes ne dépassent pas pour le moment le stade des simples spéculations.

Actuellement, une mise en valeur intense par l’homme de l’Espace situé à proximité et loin de la Terre n’a aucun intérêt économique. Et pour le moment aucune prémisse laissant supposer un changement rapide de cet état des choses ne se profile à l’horizon.

Les programmes de vols habités sont démunis d’un objectif ambitieux qui justifierait une mobilisation de l’humanité en vue de la résolution de nouveaux problèmes. A l’époque, les experts de NASA ne cachaient pas leur ennui lorsqu’ils envoyaient dans l’Espace les dernières expéditions effectuées dans le cadre du programme Apollo. Le fait est que du point de vue de l’industrie aérospatiale, les vols vers la Lune n’avaient plus aucun intérêt en matière d’ingénierie technique (or, les scientifiques n’arrêtaient pas de charger des instruments dans les vaisseaux et de confier de nouvelles missions à leurs équipages). Une chose similaire se produit actuellement en ce qui concerne les vols en orbite.

C’est sans doute logique: une victoire épique s’est définitivement transformée en un travail ordinaire et même routinier. Les vols habités ont perdu leur touche héroïque et c’est sûrement bien ainsi: ils n’attirent désormais que ceux qui veulent monter tout haut, là où le ciel bleu devient noir.

L’attitude envers les vols habités devra devenir pondérée: ils existent, ils ont leur créneau et ces programmes vont aller de l’avant (cela fait un peu peur? Mais cette progression est inévitable). Nous nous y sommes pratiquement faits. Or, nous ne nous ferons sans doute jamais au vol de Gagarine. A ce big bang tellement brusque qui est, en fait, à l’origine de l’univers des vols habités.

Les tempêtes des « grandes années cosmiques 1960", déclenchées par le lancement du satellite conçu par Sergueï Korolev et terminées par le bond lent et disgracieux de Neil Armstrong sur le sol lunaire, nourrira encore longtemps l’imagination des générations futures. En fait, ce n’est pas un mauvais exemple à suivre pour ceux qui voudront à leur tour faire un pas vers le ciel.

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