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Faire carrière en Russie pour une femme ? Pas facile, en raison des stéréotypes que partagent les hommes comme les femmes sur la question.. L'état d'esprit des employeurs exerce lui aussi un rôle négatif, ces derniers connaissant dans 90% des cas le sexe des personnes qu'ils souhaitent voir aux positions dirigeantes, estiment les experts.
"Chaque poste de travail possède une connotation liée au genre: telles sont les règles instaurées par les employeurs. Si une fonction dirigeante est occupée d'année en année par des hommes, une tradition s'enracine et les femmes elles-mêmes cessent de prétendre à ce poste », assure Marina Semina, directrice générale de la compagnie de recherche Virtuose. A titre d'exemple, le doyen de la faculté de sociologie de l'Université d'Etat de Moscou, où elle enseigne, est un homme, et il y a peu de chances pour qu'il soit remplacé dans un avenir proche par une femme, estime-t-elle. Ce poste est considéré comme masculin et les stéréotypes venus d'en haut et d'en bas rendent impossible de briser la tradition, explique Mme Semina. Dans 90% des cas, les employeurs savent de quel sexe doit être l'employé destiné à une fonction donnée, renchérit Irina Kozina, chef de chaire à la Haute école d'économie. « Si l'employeur veut dès le départ embaucher un homme, alors il prendra un homme, indépendamment du talent des femmes qui prétendent à cette position », affirme Mme Kozina.
Une étude portant sur la répartition des sexes dans 38 compagnies russes a révélé qu'il existait quatre modèles dans ce domaine, précise Mme Semina. Masculin, quand la direction favorise l'ascension des hommes. Neutre, si les deux sexes ont des chances de réussite égales. Féminin, quand le sexe faible à l'avantage. Et finalement « masculin endurci », dans les compagnies dirigées, souvent, par d’anciens militaires. Dans ces dernières, presque impossible pour une femme de faire carrière, ajoute Mme Semina.
Un pas en arrière
« Plus on grimpe les échelons dans l'entreprise, plus les femmes sont rares », fait remarquer Margarita Varganova, directrice de marketing de la compagnieAGC Glass Europe. A qui la faute? Pas uniquement aux stéréotypes de genre, mais aussi aux ressources limitées (en temps et en force) des femmes elles-mêmes, celles-ci devant octroyer plus de temps à la famille et aux enfants. Mme Varganova affirme avoir bâti sa carrière en tenant compte de ce facteur, consolidant dans un premier temps sa position dans l'entreprise avant de se décider à faire un enfant. En dix ans de carrière chez AGC, Margarita est passée de la position de chef des ventes à celle de directrice de marketing. Ce n'est qu'après s'être hissée à ce poste qu'elle s'est permis un congé maternité.
Le congé maternité constitue toujours un pas en arrière dans une carrière aux yeux de 44% des femmes dirigeantes, selon un sondage réalisé en 2010 par le partenariat non commercial « Komitet 20". Logique: en Russie, une femme avec enfant travaillant activement n'obtient de soutien ni de la part de l'Etat, ni des employeurs, estime Iana Mikhaïlova, directrice de la filiale de Nestle Purina en Russie et dans la CEI.
Notre société enferre la femme dans son rôle de pilier de la famille: si quelque chose arrive au père, aux grands-parents ou aux enfants, c'est la femme qui doit voler à leur rescousse, affirme Mme Semina. « Quand mon père est tombé gravement malade, je me suis occupée de lui pendant trois ans, se souvient-elle. Cela a eu des répercussions négatives sur ma carrière ». Finalement, Mme Semina a dû démissionner. « Je sentais que je n'arriverais pas à atteindre la barre que je m'étais moi-même fixée ».
L'homme à l'arrière
Qu'est-ce qui empêche les femmes de faire carrière ? C'est la question que la compagnie de conseil russe Watcom group a posé le week-end dernier à 500 clients des centres commerciaux de Moscou. 30% pensent que le principal obstacle, ce sont les complexes psychologiques des femmes elles-mêmes. Un même nombre de sondés accusent la famille et la difficile conciliation de cette dernière avec la carrière.
En fait, la famille peut aussi bien constituer une barrière qu'un soutien incontournable. Anna Sokolova, propriétaire de la chaîne de restaurants le « Trou du fromage », a raconté que la naissance de chacun de ses trois enfants avait coïncidé avec une percée cruciale pour sa carrière, et que cela ne l'avait nullement empêché de réussir dans les affaires. Quand on l'a nommée directrice du restaurant Absinthe, elle n'avait que 24 ans et était enceinte. De son propre aveu, cette entrepreneuse n'aurait jamais bâti sa carrière dans la restauration sans le soutien de ses proches, son mari et ses parents. Au départ, elle s'acquittait avec difficulté de son rôle de directrice, et le mari d'Anna, qui travaillait alors comme programmeur, a démissionné pour la rejoindre au restaurant. « Depuis nous travaillons ensemble ». Par la suite, Mme Sokolova a réussi à prendre la tête du Trou du fromage (c'est alors que leur deuxième enfant est né), et à le racheter à son propriétaire « grâce à neuf ans de labeur ». L'automne dernier, les époux ont ouvert un restaurant du même nom, événement suivi de peu par la naissance d'un troisième enfant. « Parfois dans les familles, le mari est la tête, et la femme l'éminence grise. Chez nous c'est le contraire », s'amuse Mme Sokolova.
Chauvinisme endurci
Le chauvinisme masculin est l'ennemi numéro un des femmes déterminées à faire carrière, selon Anna Koulikova, directrice adjointe de la compagnie Mouztorg. « Les femmes ont commencé à atteindre les plus hautes sphères: elles sont au gouvernement, elles deviennent maires de grandes villes, et pourtant elles continuent de susciter la jalousie et la méfiance. En outre, afin d'atteindre les objectifs, elles doivent souvent faire preuve de fermeté, et toutes les femmes ne sont pas capables de jouer des coudes en raison de leur nature ou de leur caractère ».
12% des personnes interrogées par Watcom group estiment que la carrière des femmes est précisément freinée par la discrimination au sein des compagnies. 9% pointent les stéréotypes selon lesquels les femmes travailleraient moins bien. Seuls 7% connaissent l'existence d'un « plafond de verre » qui bride l'ascension professionnelle des femmes.
Dans les compagnies russes, les a priori envers les femmes sont plus forts que dans les sociétés étrangères, affirme l'étude de Komitet 20. « Dès le départ, le monde russe des affaires a été orienté en fonction des hommes », écrivent les auteurs. Mais en réalité, le principal obstacle pour les femmes en route vers le succès réside dans leur for intérieur: dans un manque de confiance en soi (qui n’est peut-être qu’uneconséquence) ainsi qu'une capacité insuffisante à vendre ses capacités et ses idées, résument les chercheurs de Komitet 20.
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