Interrogations pour le Sommet de Yokohama

Crédits photo : Presidential Press and Information Office

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Le sommet de l'organisation régionale de Coopération Économique Asie Pacifique des 13 et 14 novembre à Yokohama (Japon) met en présence des membres de l'organisation de coopération qui doivent surmonter les écueils de récents événements et incidents qui ont quelque peu refroidi les relations entre la Russie, le Japon et la Chine. Une collision maritime a jeté un froid entre ces deux derniers, la visite du président Medvedev dans les îles Kouriles, devenues soviétiques à la fin de la guerre mondiale sans reconnaissance du Japon, a provoqué des bougonnements diplomatiques. Et enfin la victoire républicaine aux dernières élections à mi-mandat aux USA ouvre une incertitude quant au sort du “reset” voulu par le président Obama à l’égard de la Russie. La réunion servira de clôture à cette année de l'APEC au Japon sous le slogan de « Changement et Action » énoncé par le pays hôte. Beaucoup de changements ont déjà eu lieu modifiant l'équilibre de la région, reste à voir quelles actions en découleront.

Collision à propos des Îles Senkaku

La collision impliquant un bateau de pêche chinois et celui d'une patrouille japonaise en Mer de Chine Orientale à proximité des îles Senkaku le 7 septembre dernier a ravivé une ancienne querelle sino-japonaise. Ces îles rattachées au Japon mais revendiquées depuis les années 70 à la fois par la République Populaire de Chine et Taiwan ont été la cause d'une véritable bataille juridique et économique, sur fond de dissensions diplomatiques. Du coté juridique, la Chine s'est d'abord insurgée contre l'arrestation de l'équipage qui aurait heurté deux bateaux japonais. Suite à cet événement, l'arrestation de ressortissants japonais soupçonnés d'avoir illégalement pénétrés dans un site militaire Chinois a été rendue publique. Ces employés nippons auraient pourtant agi dans le cadre du traitement d'armes chimiques, laissées par le Japon sur le territoire lors de la seconde Guerre mondiale, selon la porte parole de la société impliquée.

La situation a mené à un embargo instauré à l'encontre du Japon concernant ses importations « des terres rares » chinoises, élément clef dans de nombreuses industries, et à l'annulation de plusieurs rencontres bilatérales à l'instar de celle du 10 septembre qui devait aboutir à la signature d'un traité de coopération sur l'exploitation des ressources en gaz de la région.

Conséquence de ce rafraîchissement entre les deux grands d'Asie : aucune rencontre entre Hu Jintao et son homologue Naoto Kan lors du sommet de Yokohama n’était prévue. Une décision de mauvais augure, qui prive l'organisation régionale Asie Pacifique d'une coopération plus poussée entre deux de ses plus importants membres. Elle en signe également un changement de perspective : la Chine qui  s'est coiffée du statut de deuxième économie mondiale à la place du Japon depuis 2009, semble s'imposer comme géant diplomatique. Et elle en a d'autant plus les moyens qu'elle a en face, pour la plupart, des pays qui souffrent encore de la crise et ont besoin de son partenariat pour sortir la tête de l'eau.
 
Retour sur les îles Kouriles
 
Le Japon ainsi impliqué dans cette querelle territoriale avec la Chine l'a été aussi dans une autre, l'opposant cette fois à la Russie, concernant les îles Kouriles du Sud ou territoires du Nord (selon l'appellation russe ou nippone). Le Japon a de nouveau fait valoir ses prétentions sur quatre îles de l'archipel rattachées à la Russie, qu'il revendique depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, à la suite de la précédente visite du Président Medvedev dans l'une d'elles. Cette visite inédite - c'est la première d'un dirigeant Russe depuis 1945 - symbolise une volonté russe de reprise en main de son territoire et sans doute un souci d’image “patriotique” pour Medvedev. Ce geste a permis, comme le fait remarquer le politologue Dmitri Badovski dans un interview à l’agence RIA Novosti, de rectifier le tir par rapport à la région : « Nous n'avons pas suffisamment investi dans ces territoires et ne nous sommes pas souciés suffisamment du développement des Kouriles ni de la vie de nos citoyens qui peuplent ces îles ».

Une visite jugée « regrettable « par Naoto Kan, qui a alors fait rappeler l'ambassadeur du Japon à Moscou. Une réaction que Viktor Pavliatenko, spécialiste du Japon à l'Institut d'Extrême Orient de l'Académie des Sciences Russe a qualifiée de « convulsive » dans un entretien à la radio La Voix de la Russie. Mais ce rappel de courte durée - l'ambassadeur a regagné Moscou au début novembre - a tout de même permis à Tokyo de marquer fermement sa position.

Alors que les États-Unis ont exhorté les deux pays à régler, une bonne fois pour toute, ce différend vieux de 65 ans, le premier ministre japonais, cité par l’agence Kyodo, a déclaré devant le parlement être conscient que « ce n'est pas un problème qui peut être résolu en une seule négociation ou en une rencontre ». Cependant, on peut espérer qu'un terrain d'apaisement puisse être trouvé lors de son entrevue  avec le président Medvedev qui devrait avoir lieu cette fin de semaine, afin d'éviter qu'un autre conflit territorial vienne s'ajouter à la toile de fond du sommet. Car si le Japon a affirmé ne plus vouloir prendre de mesure afin de montrer sa réprobation concernant la visite du président Russe sur l'île de Kunashir, il a également montré sa détermination à ne pas laisser tomber ses prétentions sur l'archipel.

Les îles Kouriles ont une importance économique non négligeable de par leur potentiel de pêche et leurs ressources naturelles. Mais la Russie et le Japon sont, au delà de ça, deux partenaires économiques réciproquement majeurs. Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays s'élevait à 29 milliards de dollars en 2008. Bien que le chiffre ait baissé en 2009, il est reparti cette année en hausse de 43% au premier semestre.  Aussi la prochaine rencontre des dirigeants des deux pays au Japon se révèle avoir un enjeu de taille.
 
Les élections de mi-mandat américaines
 
Les élections de mi-mandat qui ont donné  aux Républicains une majorité au Congrès et renforcé leur influence au Sénat pourraient remettre en cause certaines nouvelles orientations prises par l'administration Obama. En particulier en ce qui concerne la Russie et la Chine. La politique de « reset » des relations entre les deux pays initiée sur les dossiers en cours (contrôle des armements, nucléaire civil, entrée de la Russie dans l'OMC) pourraient être mise en danger. Un tel revirement de situation risquerait de freiner ces relations dans leur nouvel élan. Pour sa part, M. Prikhodko, conseiller du président Medvedev, souligne bien que la politique russe « à l'égard des États-Unis n'est pas dictée par des considérations conjoncturelles ». Les États-Unis ne devraient toutefois pas chercher à créer de nouveau des tensions avec la Russie compte tenu de leurs problèmes économiques et de ceux qu'ils rencontrent au Moyen-Orient et en Afghanistan.

Le changement parait à double tranchant pour la Chine. Certes, les aspirations des États-Unis à se placer comme médiateur en Asie et à soutenir les pays sud-asiatiques contre l'hégémonie chinoise devrait être freinées par le nouveau rapport de force électoral. La Chine avait d'ailleurs montré sa désapprobation de cette politique en rejetant sans appel l'offre de médiation américaine dans le conflit des îles Senkaku. Mais la politique Républicaine face à son poids politique croissant pourrait ne pas être plus avantageuse.

Les États-Unis se trouvent donc également en mauvaise posture à la vieille de l'ouverture de la rencontre de Yokohama, déstabilisés par ces élections, voyant leur influence dans l'organisation contrastée par celle que la Chine acquiert et dont elle compte bien se servir. De même que par le désir du Japon de couper le cordon avec Washington, largement dicté par les besoins du nouveau gouvernement de trouver la légitimité en matière de politique extérieure dont on l'accuse tant de manquer.

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