Pas de panique !

Entre les Français et les Russes, il y a plus de points communs que je ne l’imaginais. Prenez le je-m’en-foutisme. On dit aux premiers : « Menace terroriste : alerte rouge ». Rien à faire. Rien ne peut les distraire du périf bouché, du risotto aux truffes ou du procès Kerviel. Comme les Moscovites dans le smog cet été. On leur disait : portez des masques, sortez le moins possible. Ils se promenaient et fumaient des clopes assis sur les bancs publics, en inspirant Dieu sait quoi avec la fumée de cigarette.

La BBC russe s’interroge : les Parisiens paniquent-ils ? Non point. Soit par fatalisme, soit parce qu’ils ne croient pas au danger, ou ne font pas confiance à leurs services secrets. Quoi qu’il en soit, la menace d’un éventuel attentat terroriste sur la tour Eiffel occupe moins les esprits que l’augmentation de l’âge de la retraite en 2018 ou celle du prix des cigarettes.

En tout cas, ma voisine Catherine est imperturbable. Elle veut réserver pour ses amis américains une table au restaurant de la tour Eiffel. C’est sa façon de faire la nique aux terroristes. Les Américains ne veulent pas passer pour des poules mouillées mais suggèrent tout de même une autre adresse pour dîner. Catherine les appelle à ne pas prendre au pied de la lettre ce que dit le gouvernement français : « Il a tellement de problèmes qu’aucune menace terroriste ne pourra en détourner l’attention des Français ». Comme ces mots me sont familiers !

Et moi qui pensais que la méfiance du pouvoir était un passe-temps national russe ! Lorsque le Secrétaire général de l’URSS déclarait qu’il n’y aurait pas de déficit, sel, sucre et allumettes disparaissaient sur-le-champs des étals. Nous ne croyons jamais aux déclarations de revenus des hauts fonctionnaires, ni aux services secrets prétendant avoir déjoué 200 attentats dans l’année.

Mais non, nous ne sommes pas les seuls. Je me tourne vers Catherine : « Mais si, par malheur, ça pète ? Tu admettras que les avertissements n’étaient pas inutiles ? » Elle secoue la tête. « Si ça pète, comme tu dis, ça voudra dire qu’ils ont mal fait leur boulot ». J’aurais reçu la même réponse à Moscou.

Après concertation, les Américains annoncent que chacun a le droit de douter des déclarations de son gouvernement. Mais dans ce cas précis, eux, en tant qu’invités, ne veulent pas tenter le diable, et nous invitent dans un autre restaurant.

Après le dîner, sans se concerter, chacun observe la tour Eiffel avec soulagement. Elle est à sa place, elle brille, comme il se doit. Et tout à coup je comprends que ce n’est pas une question de je-m’en-foutisme, ou pas seulement. Aucun de nous ne croit sérieusement qu’une bande d’imbéciles peut lui faire quelque chose, à la tour Eiffel. Et même ceux qui en ont l’expérience, parce que c’est déjà arrivé, continuent à ne pas y croire. Je ne sais pas si c’est notre force ou notre faiblesse.

Natalia Gevorkyan est correspondante à Paris du journal en ligne gazeta.ru

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