Tim Gosling, spécialement pour la Russie d’Aujourd’hui
Selon les premières estimations, la vague de chaleur aurait provoqué une baissedu PIB de 0,5% à 1%. Crédits photo : Photoxpress
La Russie était en voie de devenir l’un des plus gros exportateurs mondiaux de céréales, occupant déjà la troisième place mondiale en 2009. C’était sans compter avec les incendies de forêt du mois d’août, qui ont dévasté un quart des terres agricoles. La récolte 2010 ne représentera probablement que 60 millions de tonnes, très loin des 97 millions engrangées en 2009.
Depuis que le Premier ministre Vladimir Poutine a décrété une interdiction des exportations à la mi-août, les cours mondiaux des céréales ont augmenté d’environ 25%. En outre, la Russie pourrait être contrainte d’importer des céréales cette année - même si le ministère de l’Agriculture rejette cette éventualité - ce qui pousserait encore davantage à la hausse le cours mondial des produits alimentaires.
En outre, les incendies ont retardé les semis des cultures d’hiver, qui permettent d’obtenir une récolte une fois et demie plus importante que la récolte d’été. C’est pourquoi la production devrait continuer à diminuer, et on parle déjà d’une possibilité de répétition du choc des prix alimentaires, qui a touché les marchés mondiaux en été 2008. Il est vrai qu’on n’en est encore qu’au stade des estimations de l’impact de la sécheresse. Les chiffres exacts ne seront connus qu’à la fin de l’année.
Les choses sont plus claires sur le front des incendies. Le gouvernement a promis d’utiliser des fonds publics pour reconstruire les maisons et les infrastructures détruites par les feux de forêt. Le total des réparations et des indemnisations est estimé à 305 millions d’euros, a annoncé le ministre des Situations d’urgence Sergueï Choïgou.
Certains analystes avancent pour leur part des chiffres d’une tout autre échelle. Selon des estimations, la vague de chaleur aurait provoqué une baisse du PIB (produit intérieur brut) de 0,5% à 1%, soit des pertes allant jusqu’à 11,7 milliards d’euros. En effet, les entreprises réduisent les heures de travail et gèlent les plans d’investissement à cause de la canicule. Le ministère de l’Économie a revu à la baisse sa prévision de croissance, de 4,7% en début d’été à 4%.
Les agriculteurs encaissent davantage que les autres. À peine remis de la crise économique, ils se retrouvent désormais surendettés à cause de récoltes insuffisantes. Les analystes estiment que près de 3,23 milliards d’euros de crédits agricoles – soit 15% du total des crédits du secteur bancaire – nécessitent une restructuration. Les banques publiques Sberbank et Rosselkhosbank sont les plus exposées à ce problème. L’État a déjà promis de débloquer 267 millions d’euros pour subventionner les taux d’intérêt des agriculteurs en 2010 et 2011.
Les producteurs de l’agroalimentaire et les détaillants sont coincés entre le marteau et l’enclume. Ils subissent la hausse des prix des fournisseurs, quand dans le même temps, le gouvernement, qui tente désespérément de maîtriser l’inflation, les menace d’amendes en cas de hausses de prix « injustifiées ». Résultat, les conflits commerciaux se multiplient. Plusieurs usines à pain ont déjà été condamnées pour abus sur les prix, tandis qu’une querelle sur les prix a éclaté entre la chaîne des supermarchés Sedmoï Kontinent et le producteur de lait Wimm-Bill-Dann.
Les compagnies de transport russes vont également ressentir les retombées de la chaleur estivale si les exportations de céréales cessent. Avec l’arrêt des exportations pour cette année, le volume total du blé exporté (principalement vers les pays du Moyen-Orient) ne dépassera pas 4,5 millions de tonnes en 2010, comparé à 21,5 millions de tonnes l’an dernier.
En juillet, la production industrielle était en hausse annuelle de 5,9%, avec un investissement fixe de 0,8%. Mais les deux indicateurs ont baissé de 10% par rapport à juin. Olga Sterina, de la banque russe d’investissement Uralsib, s’inquiète du fait que « les investissements ont diminué de plus que prévu et les données du mois d’août risquent d’être encore plus négatives ».
Alors que les analystes espèrent que le choc économique sera temporaire, on craint que les prix des denrées alimentaires n’alimentent l’inflation et détruisent les chances d’une croissance soutenue en Russie. Le bon côté de la crise mondiale pour la Russie fut la fin d’une bataille de deux décennies contre l’inflation (voir encadré). Mais à peine la fumée des feux était elle dispersée que les vieux démons de l’économie russe ont resurgi...
Le spectre de l’inflation réapparaît
La hausse rapide des prix des denrées alimentaires a fait changer les pronostics concernant l’inflation. Désormais, certains ajoutent 3% aux prévisions officielles maximales de 7% pour l’année 2010. Fin août, le ministère de l’Économie a revu à la hausse ses prévisions – qui étaient les plus basses depuis plus d’une décennie. Il est déjà certain que la progression de 8,8% observée en 2009 sera dépassée. Le retour de l’inflation porte un nouveau coup à l’économie, surtout que les taux d’intérêt sont devenus supérieurs à la montée des prix. Ce symptôme du retour à une économie « saine » est une première depuis la fin de l’URSS. Si les taux restent réels, cela permettra à la Banque centrale d’avoir les mécanismes nécessaires pour contrôler l’économie. Malheureusement, cette éventualité risque de filer rapidement entre les doigts du Kremlin.
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