Revue de bonne compagnie

Le financier Alexeï Karakhan, l’actrice Alissa Khazanova et le businessmanDavid Baumann se retrouvent au cours d’une soirée privée réservéeaux membres de « Snob ». Crédits photo : Arseniy Neskhodimov

Le financier Alexeï Karakhan, l’actrice Alissa Khazanova et le businessmanDavid Baumann se retrouvent au cours d’une soirée privée réservéeaux membres de « Snob ». Crédits photo : Arseniy Neskhodimov

Dans le paysage médiatique russe, « Snob » est un ovni. Ce projet onéreux, au nom si connoté, cible un auditoire aux contours incertains. Pour son rédacteur en chef, Vladimir Yakovlev, ce sont les « global Russians » ; ou les « Russes qui se perçoivent comme des citoyens du monde », explique Macha Gessen, rédactrice en chef adjointe ; soit « une communauté de professionnels accomplis qui vivent partout dans le monde, mais qui pensent en russe, unis par des intérêts communs, une ouverture aux idées nouvelles et le désir d’en débattre », clame le site. Ce sont surtout des gens qui sont prêts à payer 12 euros pour un numéro et 330 euros par an pour être invités aux événements exclusifs du club. Par sélection naturelle, ce snob-là a des ambitions intellectuelles et les moyens financiers de les assouvir.

Les concepteurs du projet assument cette méthode de tri, arguant qu’il faut être prêt à débourser pour un produit de qualité. Le jeu en vaut la chandelle, puisque, selon eux , lire Snob rend intelligent ! Macha Gessen est catégorique : « Nous parlons au lecteur comme s’il était plus cultivé qu’il ne l’est en réalité. C’est le seul moyen de relever l e niveau ». C’est-à-dire que le lecteur de Snob doit faire preuve de snobisme, pour son propre bien. « Certes, le titre n ’est pas très heureux », se défend Gessen, « mais nous espérons que les gens saisissent aussi l’ironie : le snob est fier de ses accomplissements et méprise ceux qui n’y sont pas parvenus, tout en ayant conscience que sa condescendance est un peu ridicule ».

« Snob » apparaît surtout comme une tentative de combler un vide dans la sphère sociale et médiatique russe : créer un espace de débat de haut niveau sur les différents aspects de la vie, l’art, la culture, un peu de science, de la politique, ce « babillage cultivé » qui est le propre, en Occident, des classes éduquées urbaines et sophistiquées. « En Russie, nous n’avons pas cette culture, nous manquons même de vocabulaire », explique Gessen qui a longtemps vécu aux États-Unis.

Le projet multimédia « Snob », lancé en 2008, a été conçu comme un produit à multiples facettes et résolument moderne. Pour épicentre, un site internet, www.snob.ru. C’est une plateforme d’information et de débat structurée comme un blog tentaculaire animé par des « modérateurs », qui remplacent les rédacteurs, désuets, et suivi par des « participants », au lieu de lecteurs passifs. Puis il y a la revue Snob, qui a des airs de beau livre : plus de 200 pages au style léché , des signatures prestigieuses , agrémentées de pubs élégantes. Enfin, un réseau social, un club sélect et fermé : soirées privées, avant-premières et « snob-talks » (conférences de célébrités) réservées aux membres. Snob sera aussi bientôt un lieu dans un quartier branché de Moscou.

Si la revue n’est pas considérée comme l’essentiel du projet, elle en cristallise la substance. Sur un papier luxueux, des plumes aiguisées publient des articles-essais de haute voltige sur des thèmes qui inquiètent (« En quoi Hitler est-il pire que Staline ? », « La mémoire est-elle éternelle ? »), des interviews exclusives de personnalités étrangères (John Malkovitch, Frédéric Mittérand) ; les écrivains en vogue - Andreï Guelassimov ou Zakhar Prilepine - composent des nouvelles inédites ; des chroniqueurs donnent des nouvelles de Paris, New York ou Londres. Chaque mois, quatre nouvelles personnalités, « représentants les plus brillants de notre auditoire cible », invitées à adhérer au club (l’ancien président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev ou le réalisateur Pavel Lounguine), se prêtent à une séance photo et à un questionnaire. Sans équivalent dans la presse française, Snob lorgne vers un Vanity Fair qui aurait rencontré le New Yorker.

Aucune position idéologique affichée, mais la sensibilité démocrate libérale de Snob se démarque notablement de celle des principaux médias russes. Le site et la revue se caractérisent pour l’instant par une grande liberté de ton, ne s’aventurant pas pour autant sur des terrains trop glissants. On n’y lira pas d’analyse sur les fondements du pouvoir poutinien ni d’enquête sur les origines des fortunes des oligarques (le projet est financé par le milliardaire Mikhaïl Prokhorov). Snob n’en est pas moins très présent sur les manifestations de l’opposition, couvertes en temps réel. Le numéro d’avril 2010 rendait hommage à la grande dame de la dissidence russe, Lioudmila Alekseeva, tandis que le mouvement des « seaux bleus », qui dénonce les privilèges des hauts-fonctionnaires, a pris de l’ampleur en partie grâce à l’activisme de la rédaction. Gessen glisse : « Nous n’irons pas organiser une manifestation, mais nous n’excluons pas le fait qu’à l’issue d’un débat qui se tiendra sur notre site, une action civile puisse se mettre en place ».

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