Notre camarade expat

Crédits photo : DR

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Jean-Pierre l’avait lu au détour d’une ballade sur Internet : une manifestation aura lieu dans quelques jours pour dénoncer l’arbitraire du régime politique russe. Jugeant le Premier ministre Vladimir Poutine peu amène, et se remémorant avec nostalgie ses années de cégétisme, Jean-Pierre décide d’apporter sa pierre à l’édifice.

La veille au soir, notre ami concocte une affiche gentillette (« vive la démocratie » - ce n’est pas très fin, mais l’intention y est) et consulte sa carte : rendez-vous est donné Place Trioumfalnaïa. Jean-Pierre se demande quel est le triangle Répu-Bastille-Nation, version moscovite. Peut-être descendront-ils jusqu’à la Place Rouge par l’avenue Tverskaïa ?

On ne la fait pas à Jean-Pierre, habitué des manifs parisiennes : il faut arriver à l’avance, pour ne pas être noyé par la foule. À 17 heures, une heure avant l’heure, le voici sur la place. Première surprise : il y a bien 80 cars de CRS, mais pas un seul manifestant en vue. Mieux vaut attendre les camarades avant de déployer l’affiche.

17h45 : toujours pas de manifestants sur place, c’est de plus en plus bizarre. Douze policiers remontent néanmoins d’un passage souterrain, pour embarquer violemment dans un panier à salade deux militants pour les droits de l’homme.

17h54 : La manifestation va commencer ! Enfin, pour la petite trentaine de ce qui semble être des manifestants, et dont la moyenne d’âge frise les 75 ans bien tassés. Jean-Pierre se glisse timidement parmi eux, en se frayant un chemin entre les dizaines de journalistes étrangers qui assistent à l’étonnant spectacle.

17h59 : c’est de plus en plus incompréhensible. Les policiers hurlent dans leurs haut-parleurs et demandent d’évacuer la place. Les vingt manifestants (dix ont été arrêtés) sortent des affichettes, Jean-Pierre fait de même. Les 500 policiers sont étonnamment nerveux et regardent d’un œil torve les vieillards qui scandent des appels à la démocratie.

18h04 : la manifestation est terminée. Les caméramen étrangers rangent leur matériel, les passants circulent à nouveau sur la place, regardant avec indifférence le petit cirque qui s’estompe sous leurs yeux.

21h12 : Jean-Pierre sort enfin du commissariat. L’exercice démocratique était intéressant, les manifestations russes sont décidément étranges, mais c’est toujours agréable de pouvoir comparer deux cultures, c’est tout l’intérêt de l’expatriation, nom de nom ! Ne reste plus qu’à trouver une escalope bien froide pour mettre sur son œil gauche, qui est vachement gonflé. Et espérer que la côté fêlée, qui rend la respiration difficile, va mieux se porter demain.

François Perreault est expatrié à Moscou depuis quatre ans

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