Sourire discret à Tim Roth

La vie d’un correspondant étranger se distingue par la quantité de collègues qui viennent, passent, font un saut à Paris, et bien sûr, appellent.

- Natacha, je suis de passage en allant à Strasbourg, j’ai à peine deux heures. On dîne ? Tu es où ?

- Retrouve-moi place des Vosges. J’y suis. C’est la Fête de la musique. Tu as de la chance, on s’entend à peine !

Mon collègue me demande où je suis exactement.

- À la terrasse du restaurant, juste derrière Tim Roth.

En général, je suis assez indifférente aux célébrités qu’il n’est pas rare de croiser dans le Marais. Et je ne collectionne pas ces rencontres. Mais parfois, c’est intéressant.

Ioko Ono. Nous faisions nos courses dans la même boutique. Elle est reconnaissable au premier coup d’œil, même si les années ont fait leur travail. Elle achetait avec panache, cher et beau. Jean-Paul Gaultier marchait au petit matin rue des Francs-Bourgeois. Rien ne trahissait le couturier à la mode : un jogging, des baskets, un blouson. Il souriait à tous les passants. Bruce Willis, avec sa démarche si caractéristique, discutait à mi-voix avec une jolie femme. Patricia Kaas, aussi belle dans la vie que sur scène et à l’écran, une femme élégante et fragile, avec un visage triste.

J’ai été frappée par le réalisateur Leos Carax. Nous nous sommes mis d’accord au téléphone pour une interview, l’heure, le lieu, et tout à coup il me dit : « Je vais vous dire comment vous allez me reconnaître. Je serai accompagné de deux chiens presque identiques ». Le réalisateur mondialement connu craignait sincèrement que je puisse ne pas le reconnaître.

C’est totalement différent de voir les gens célèbres en dehors d’une réception, d’un festival ou d’une conférence de presse. Naturels et détendus. Dans leur vie privée de tous les jours. Ils sont comme tout le monde, heureusement, sans signes d’arrogance, vêtus sans excès, et cherchant davantage à se fondre dans la foule qu’à s’en démarquer. Les Parisiens, si j’en juge par mes observations, sont discrets. Impossible que j’aie reconnu Bruce Willis, et pas eux ! Mais pas un regard insistant, pas un commentaire dans le dos, aucune demande d’autographe, aucun geste superflu de leur part...

Mais avec Tim Roth, j’ai craqué. Mon collègue, ayant saisi mon regard malicieux, hurla, à travers les ondes musicales qui déferlaient de tous côtés :

- Natacha, nous ne sommes pas en train de travailler là, pas vrai ? Nous dînons juste. Nous ne sommes pas des paparazzis !

Honteuse, j’ai rangé le portable avec lequel j’étais sur le point de photographier mon acteur bien-aimé. Il dînait en grande compagnie. Quand il s’est levé pour aller dans le fond du restaurant, il devait immanquablement passer devant moi. Je n’ai pas pu résister et lui ai fait un immense sourire. Il a ôté ses lunettes noires, s’est légèrement incliné et m’a rendu mon sourire. Je voulais déjà ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais au dernier moment je me suis mordu la langue...

Mon collègue a ri de bon cœur. Il ne s’attendait pas à ce que je craque pour un acteur. Mais il y avait de la musique, la ville chantait, et ne pas sourire dans une telle ambiance eût été tout bonnement impossible. Surtout s’il y a quelqu’un, qui n’est pas n’importe qui, à qui sourire.

Natalia Gevorkyan est correspondante à Paris du journal Kommersant

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