Moscou sensible à l’effet Obama

Les soldats de l’OTAN marchant au pas sur la Place Rouge lors de la journée de la Victoire. Moscou, au prix d’un compromis, négociant un accord avec la Norvège, mettant ainsi un terme au différend vieux de 40 ans qui portait sur la frontière maritime entre les deux pays. Le spectacle du Premier ministre Vladimir Poutine posant le genou à terre devant le mémorial de Katyn, là-même où des officiers polonais furent tués sur ordre du régime stalinien. Ce ne sont là que quelques aperçus de l’image d’une Russie bienveillante que l’hebdomadaire New Europe a brossée dernièrement. Pour autant, le tableau appelle immédiatement trois questions : tout cela est-il bien réel ? Pourquoi ce changement ? Et comment réagir à la nouvelle politique étrangère russe ?
Le nouveau ton adopté par Moscou, plus particulièrement à l’égard des États-Unis, a été amorcé l’an dernier. Mais aujourd’hui, le soutien du Kremlin à l’adoption d’une quatrième vague de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies contre l’Iran, apporte une substance bien réelle à ce changement. Qui plus est, la renonciation aux revendications territoriales dans l’Arctique — enjeu du différend avec la Norvège — constitue une énorme concession de la part de Moscou.

Un document interne émanant du ministère des Affaires étrangères, et selon toute vraisemblance authentique, est paru dans l’édition russe de l’hebdomadaire américain Newsweek du 10 mai. Il montre qu’aujourd’hui, le Kremlin fait de ses relations avec les États-Unis et l’Europe sa priorité. Plus rien à voir avec ce que l’on a pu observer lors du défilé de la journée de la Victoire de 2007 sur la Place Rouge, où Poutine, alors président, comparait la politique de son homologue américain George W.Bush à celle du Troisième Reich ; rien à voir avec la reprise, toujours en 2007, des patrouilles aériennes russes de bombardiers stratégiques le long de la côte norvégienne ainsi qu’au-dessus de l’Atlantique nord et dans les Caraïbes ; rien à voir enfin avec l’allocution à la Nation du président Dmitri Medvedev qui, le 5 novembre 2008 — au lendemain de l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis — menaçait de déployer des missiles Iskander à courte portée aux abords de Kaliningrad.

Quatre facteurs ont plus particulièrement contribué à ce revirement positif : la guerre en Géorgie en 2008, la crise économique mondiale, le facteur Obama et la montée en puissance constante de la Chine.

La guerre en Géorgie a révélé la rapidité avec laquelle les relations avec les États-Unis pouvaient se dégrader, allant presque jusqu’à faire renaître la Guerre froide, laissant la Russie isolée et en position générale de faiblesse. La crise économique a détruit les illusions d’une croissance soutenue, ainsi que l’orgueil retrouvé de la Russie.

De son côté, l’administration Obama, en redéfinissant la politique étrangère des États-Unis, a écarté les pricipales sources de friction dans les relations Russie-Occident, à savoir la perspective de l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie, les rapports privilégiés avec le président géorgien Mikheil Saakashvili, ainsi que le déploiement d’un dispositif stratégique antimissile en Europe centrale. M.Obama a également fait preuve d’un véritable respect et d’une volonté d’ouverture sincère à l’égard de la Russie.

Pour finir, dans la mesure où la Chine a gagné en confiance et en assurance, l’ombre qu’elle fait planer au-dessus de la Russie s’est étendue et épaissie.

Face à cette situation, les dirigeants russes entrevoient à la fois de nouveaux dangers et de nouvelles chances. Le retard du pays, non seulement par rapport à l’Occident, mais également à certaines puissances émergentes, conduit au besoin de moderniser l’assise technologique de la Russie. Mais où trouver l’argent nécessaire à cet objectif ?

Le nouveau défi à relever en politique étrangère consiste à canaliser les ressources ainsi offertes pour les mettre au service de la modernisation du pays. Ce qui implique de meilleures relations avec les États-Unis en particulier, et avec le monde occidental en général.

Les obstacles ne manquent pas. Le pouvoir russe a une conception trop étroite de la modernisation pour qu’elle donne les résultats voulus. Sans l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant, sans des droits de propriété garantis, sans un coup d’arrêt à la corruption, la modernisation souhaitée par M.Poutine n’ira nulle part. Le danger réside dans l’incapacité à créer l’environnement commercial, politique et juridique approprié pour pouvoir en tirer quelque profit.

D’une manière générale, le monde occidental a bien accueilli la nouvelle ligne de conduite de la Russie. M.Obama, de son côté, a fait parvenir au Congrès un accord de coopération avec la Russie portant sur l’énergie nucléaire. Dans le même temps, l’Union européenne a offert à la Fédération un « partenariat pour la modernisation », les deux parties se montrant désireuses de voir enfin la Russie rejoindre l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).

Ce point est effectivement crucial. On ne saurait mieux préparer le terrain de la modernisation qu’en adhérant à l’OMC. Une fois cette étape franchie, il conviendra de parvenir à un statut commercial permanent pour les échanges de la Russie avec les États-Unis, ainsi qu’à des mesures pratiques en direction d’une zone de libre échange paneuropéenne entre l’Union européenne, la Russie, l’Ukraine ainsi que d’autres pays. Du côté de l’Europe, la meilleure façon d’apporter une aide efficace à la modernisation russe serait de procéder à l’abolition progressive du régime des visas avec la Fédération.

Dmitri Trenine est directeur du Centre Carnegie à Moscou

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