Président de l’Académie Goncourt et lui même académicien, sacré classique de son vivant (il est mort en 1996), Hervé Bazin avait accepté de me rencontrer immédiatement, en s’excusant de préférer son petit village de Normandie à l’agitation de la capitale. Une ancienne demeure un peu décrépie, où un vieux jardinier guilleret nettoie une petite piscine pour enfants, un tuyau d’arrosage à la main.
- Pardon, c’est ici que vit l’écrivain Bazin ?
- Vous parlez de celui qui passe son temps à décerner le Goncourt ?
- Oui.
- C’est moi-même.
Et il me tendit la main avec un sourire qui semblait s’excuser de ne pas s’être rendu d’emblée reconnaissable au visiteur.
À côté de lui, dans un panier posé sur l’herbe verte, un bébé couinait doucement. Dès lors, j’ai cessé d’avoir des complexes par rapport à ma paternité tardive, alors qu’Hervé Bazin, devenait mon écrivain préféré au monde. Une petite-fille est née le même jour que son fils Nicolas, et Bazin m’avoua fièrement qu’il donnait la vie depuis un demi-siècle : « C’est comme créer un chef d’œuvre littéraire. En laissant derrière vous une trace, vous prouvez votre droit à l’existence. Comment peut-on vaincre la mort autrement ? Il ne faut jamais mourir pour toujours ».
Il était simple dans le contact. C’est ce qui le rendait si attirant. Le Matrimoine a été plus lu en Russie que dans sa France natale. Les mauvaises langues françaises prétendaient que son amour de la Russie reposait sur des tirages par millions de ses romans. Mais ces envieux ignorent que l’URSS méprisait les droits d’auteur.
Bazin aimait les Russes, les idéalisait un peu trop. C’était l’amour de celui qui ne connaissait de la Russie que sa littérature. Sa foi en nous, en la perestroïka et Gorbatchev, semblait celle d’un génie aveugle. Je lui ai demandé s’il n’avait pas des origines russes. Il y avait bien eu des Russes dans son entourage d’enfance, outre Tolstoï, Tchekhov et Tourgueniev. Et du côté de sa mère, à la sixième génération. Mais il ne savait pas qui, lui dont les archives étaient pourtant rangées si soigneusement, à la grande joie des spécialistes.
Dans une lettre, il m’écrivit un jour : « L’année 1989 s’annonce bien. Les dangers, les conflits reculent un peu partout. Une avancée a été faite sur les voies du désarmement et du respect des droits de l’Homme ».
Bazin m’invitait aux remises du Goncourt. Ce n’était alors plus un jardinier mais le maître du bal en smoking. L’une des dernières lettres que je reçus de lui commençait ainsi : « J’écris en ce moment la suite du Matrimoine qui eut en URSS autant de lecteurs qu’en France ».
Nikolaï Dolgopolov est le rédacteur en chef adjoint de Rossiyskaïa Gazeta. Il fut correspondant à Paris de la Komsomolskaïa Pravda entre 1987 et 1993.
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