On le sait, les novateurs de la scène française ont étudié très attentivement l'art de Stanislavski et de Nemirovitch-Dantchenko, qui ont pour la première fois étonné Paris en 1904, avec les spectacles du Théâtre d'art de Moscou. Leurs méthodes de formation de l'acteur passionneront des magiciens du théâtre français comme Copeau, Villard, Mnouchkine ou Brook, ce metteur en scène britannique qui s'est installé à Paris au milieu des années 70 du siècle dernier.
Cela dit, le théâtre français possède sa propre tradition, inébranlable et conservée par la langue française, laquelle porte la mémoire à la fois historique et esthétique. Bien qu'elle soit très largement ouverte aux influences extérieures, la culture française, comme d'ailleurs la russe, prend seulement ce que lui est nécessaire, ni plus ni moins. C'est pourquoi, quelles que soient nos attirances et nos répulsions mutuelles, sur une durée plus que millénaire, nous conservons nos identités respectives. La relation négative à la version stalinienne, et soviétique en générale, du socialisme, qui s'est solidement ancrée en France depuis les années 1920, n'a pu être ébranlée même par notre lutte commune contre le nazisme. Et ce rapport est en grande partie projeté aussi sur la nouvelle Russie, que la France ne connaît pas assez bien, à mon avis, peut-être avant tout parce que des stéréotypes du temps de la Guerre froide on survécu dans la société française (comme dans la russe, au demeurant). C'est pour cela que la plupart des Français ne s'intéressent qu'aux œuvres qui ont toujours symbolisé la production artistique russe: les théâtres Bolshoï et Mariinsky, le Cirque de Moscou, l'avant-garde russe du début du XXème, l'iconographie et, bien entendu, Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov.
Alors que la France et la Russie entretiennent des liens séculaires, alors que nos chefs d'État actuels s'entendent, aussi bien politiquement que personnellement, les Russes et les Français ont une représentation plutôt approximative les uns des autres, qui se plie aux clichés forgés dans les siècles passés, mais qui de toute évidence sont dépassés au XXIème siècle. On ne peut pas dire que nous soyons indifférents les uns aux autres. Il suffit de nommer le travail collectif des ballets du Bolchoï et de l'Opéra Garnier; l'immense succès de la tournée à Paris (jusqu'au 7 décembre) du Théâtre d'Europe de Saint-Pétersbourg, sous la direction de Lev Dodine; ou bien l'incontestable excitation que provoque dans le public russe la sortie d'un roman de Houellebecq ou d'un film d'Ozon, tout comme l'investissement de l'entreprise française Renault dans l'industrie automobile russe. Mais il est clair que cet intérêt mutuel mérite bien mieux.
Michail Chvydkoï est Commissaire du Comité d'organisation pour la Russie de l'Année France-Russie et ancien ministre de la Culture.
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