Que fait aujourd'hui votre studio ?

Il travaille. Nous essayons de gagner nous-mêmes de l'argent sans en demander à l'État qui me semble absolument étranger. Je n'aime pas les appels d'offres qui sont en vogue aujourd'hui. Nous essayons de survivre, nous imprimons des livres et des posters et nous les vendons. Il y a une trentaine d'années, je ne me voyais pas du tout faire du commerce. Il est vrai que nos produits sont de très bonne qualité et je peux prouver à n'importe qui que nous n'avons pas porté atteinte aux goûts du public.

Existe-t-il encore une création pure dans le monde du dessin animé ?

Vraisemblablement. Le talent ne s'achète pas avec un pot-de-vin. On en a ou on n'en a pas. La corruption est impossible dans ce domaine. Oui, elle existe dans le monde des arts, mais son résultat est immédiatement repérable à l'écran. En ce sens, la corruption, ce n'est pas d'avoir touché de l'argent « malhonnête », c'est d'avoir suivi dans la vie des règles malhonnêtes que l'on s'est inventées. Ou bien c'est de devenir un administrateur zélé tout en continuant à s'occuper d'art. Là, on devient réellement malhonnête et alors l'art, c'est fini !

Vous faites des conférences dans le monde entier. Rencontrez-vous beaucoup de jeunes doués ?

Beaucoup, oui. Si l'on considère la vie à sa source, on peut dire que dans l'enfance, chacun est doué, personne ne manque de talent. Parce que les enfants sont émerveillés par la vie, ils découvrent le monde et chaque jour est nouveau pour eux. En plus, tous les enfants sont des acteurs. Ils ne sont pas hypocrites, ils s'amusent c'est tout. Dans cette optique, l'affabulation peut être également nécessaire à un adulte. On retrouve alors la notion de création.

Quel est le secret du Hérisson dans le brouillard ? Car ce n'est pas un dessin animé pour les enfants, mais un cinéma profondément philosophique. Toutefois, les enfants l'adorent.

Les enfants ne l'ont pas vraiment adoré. C'est aujourd'hui que le film est devenu populaire. Quand il est sorti, les parents m'accusaient de faire peur aux enfants. Le dessin animé touchait la corde sensible du petit. Je sais de quoi je parle : quand ma petite-fille avait deux ans et demi, c'était un bonheur pour elle de regarder ce dessin animé. Mais un an plus tard, elle quittait la pièce durant les scènes faisant peur pour ne revenir qu'à la fin. Quoique, comparé aux films actuels, le mien est presque romantique ! Peu de producteurs s'intéressent aujourd'hui à la qualité du film. Et quand je dis qualité, je ne parle pas d'Avatar ni de Viking, mais de cinéma imprégné d'esprit, de compassion, de sympathie, de connaissance de la vie et non de la magie du 4D. De ce point de vue-là, je ne suis pas en accord avec l'époque.

Vous avez probablement eu la possibilité de quitter le pays. Pourquoi ne pas l'avoir fait ?

Là-bas, je suis un étranger. Les autres pays me sont étrangers. Je ne pourrais pas. Ceux qui sont partis ont pu renaître ? C'est un mythe. Oui, ils avaient la possibilité d'écrire, de publier leurs œuvres et encore, avec un peu de chance. Or la chance n'est pas toujours au rendez-vous. Même pas avec les talents. Il y a eu de grandes personnalités comme Brodsky ou Dovlatov, tous les deux de grands talents ici et là-bas. Mais ils auraient vécu avec plaisir dans notre pays et non à l'étranger. Parce que, quoi qu'il en soit, ils souffraient tous les deux de l'absence d'espace.

Youri Norstein est un maître de l'animation soviétique et russe, réalisateur de dessins animés. Il a créé la plupart de ses films alors qu'il travaillait aux studios Soyouzmoultfilm. Il bénéficie d'un grand prestige auprès de classiques comme Hayao Miyazaki et Kunio Kato. En 2003, le film de Youri Norstein Le Hérisson dans le brouillard a été élu plus beau dessin animé de tous les temps à l'issue d'un sondage auprès de 140 critiques de cinéma et animateurs de différents pays. La deuxième place de ce palmarès revient à une autre œuvre de Youri Norstein, Le Conte des contes. Les deux films ont été réalisés dans les années 1970.