RBTH : Dix ans, c’est la moitié de la carrière habituelle d’une danseuse. Pour vous, c’est « déjà dix ans » ou « seulement dix ans » ?
Natalia Ossipova : J’ai l’impression que je ne danse pas depuis longtemps. Mais quand je me retourne et que je vois ce qui est fait, je comprends que c’est beaucoup. Un jour, mécontente de certaines de mes prestations, j’ai visionné mes vieilles vidéos et je me suis dit : « Bravo, il y a beaucoup choses bien faites ».
Toutefois, je ressens ces derniers temps le besoin non pas de satisfaire les désirs du théâtre, mais d’écouter mes souhaits à moi. J’ai réalisé que j’avais des intérêts professionnels au niveau des spectacles, des chorégraphes et des partenaires. J’ai compris que je voulais matérialiser mes propres projets.
RBTH : Le monde du ballet est très varié. Comment choisissez-vous ce qui vous intéresse ?
N.O. : Il existe de vieux spectacles, des rôles que j’ai envie de jouer ou de peaufiner. Mais il y a aussi les spectacles qui ont été dansés maintes fois et pour lesquels je n’ai plus l’intention de me dépenser parce que mon corps me fait souvent mal et je ne veux plus le tourmenter pour ce qui n’est pas vraiment important pour moi. Je souhaite réaliser de grandes danses et la saison qui vient de s’achever a été fantastique, parce que j’ai réussi à faire beaucoup de choses.
RBTH : Vous avez passé toute l’année théâtrale à Londres, au Royal Ballet de Covent Garden. Du point de vue du spectateur, c’est un choix des plus inattendus, car votre manière de danse ample, avec ses émotions exagérées et son ambition de se démarquer des autres ne sont pas conformes au style de la troupe. Pourquoi un tel choix ?
N.O. : De mon point de vue aussi. J’ai toujours pensé à Londres, la ville m’attirait comme un aimant et j’ai toujours voulu y habiter, mais je ne me suis jamais imaginée au sein de cette troupe qui a ses traits spécifiques, son propre style. Je n’ai pas pensé une seconde à associer son répertoire au mien, je pensais que les ballets britanniques n’étaient pas pour moi !
Mais il y a un an, Kevin O'Hare, directeur artistique du Royal Ballet, m’a proposé de venir danser Le Lac des Cygnes. J’ai donné mon accord et j’ai passé environ deux mois au sein de la troupe dans le cadre des répétitions. Dans le même temps, on travaillait un numéro avec Wayne McGregor que je devais danser avec Edward Watson lors d’un concert à l’occasion des noces de diamant de la reine.
Je me suis donc plongée dans le tourbillon des activités de la troupe. J’y étais bien, je sentais qu’on voulait que j’arrive à réaliser les objectifs fixés par Wayne McGregor et j’ai dansé Le Lac des Cygnes avec brio. Kevin O’Hare m’a proposé de travailler avec eux directement après les spectacles. A ce moment-là, je menais un train de vie assez libre pour une danseuse : je voyageais à travers le monde, je travaillais sous contrat et je vivais sans maison.
Comme une femme, comme une personne, je sentais que j’en étais fatiguée, mais je ne savais pas comment m’arrêter, comment vivre en alliant la création avec un foyer. L’invitation de Kevin O’Hare était plus qu’opportune : c’était une chance rare et ça valait le coup. J’avais très peur et c’est normal : serai-je acceptée, ne me dira-t-on pas que je fais tout de travers parce que je suis Russe…
Aujourd’hui, je peux affirmer que j’ai trouvé ma troupe, que c’est mon théâtre et ma famille, que j’ai découvert l’existence de partenaires ayant conféré une nouvelle impulsion à ma carrière. J’ai commencé à danser des spectacles que je n’aurais jamais pu danser en Russie ou aux Etats-Unis. C’est sans doute l’une des décisions capitales de ma vie.
RBTH : Que diriez-vous du style auquel vous avez consacré cette saison ? A-t-il été vraiment difficile de le manier ?
N.O. : Très difficile. Si l’on compare le style russe au style anglais, je dirais que ce dernier est plus délicat. Les deux styles diffèrent surtout au niveau de la présentation artistique. Ainsi, dans les ballets de Frederick Ashton – j’ai dansé Un Mois à la campagne, The Dream et La Fille mal gardée – le jeu des danseurs est travaillé jusque dans les détails, tout comme les mises en scène. L’artiste ne doit rien inventer, il lui suffit d’insuffler la vie à son personnage et d’y ajouter son sentiment. Ce qui me plaît beaucoup.
Il était très difficile d’apprendre le geste juste. Je ne peux pas être comme les danseurs britanniques parce que j’ai une autre école. Mais je fais de mon mieux et ils m’aident. Je ne suis peut-être pas toujours le sillage du style, mais mes pédagogues me disent que j’arrive à « mixer », que grâce à mon école russe, plus ouverte, je crée un contraste intéressant.
Frederick Ashton est spécialiste de très beaux ports de bras, ces mouvements que les Britanniques exécutent un peu sèchement. Chez nous, les Russes, le haut du corps est plus souple et, à condition de ne pas forcer, ça donne un enchaînement très joli.
RBTH : La saison prochaine vous revenez au Bolchoï non seulement avec votre ballet griffé Giselle, mais également avec Onéguine de John Cranko, que vous avez interprété cette année à Londres.
N.O. : Onéguine est mon rêve de toujours, mais je n’ai pas pu le réaliser à l’American Ballet Theatre. J’ai eu peur qu’il ne se matérialise pas non plus ici : j’ai commencé à répéter après une blessure et il restait très peu de temps. Mais tout s’est bien passé et j’ai enfin dansé le rôle de mes rêves. Je crois que c’est l’une de mes meilleures danses et sans aucun doute le plus grand succès de cette année de travail à Londres.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.