Pourquoi le sculpteur espagnol Alberto Sánchez Pérez est-il parti en URSS?

Musée Alexeï Bakhrouchine ; Selimkhanov/Sputnik
Les visiteurs du Musée Reina Sofia à Madrid passent inévitablement à côté de la majestueuse sculpture Le peuple espagnol possède un chemin qui conduit à une étoile, qui se trouve à l’entrée. Son auteur, Alberto Sánchez Pérez, est arrivé en Union soviétique en 1938 et y est resté jusqu’à sa mort.

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La vie de Sánchez ressemble à un roman d’aventures. Né à Tolède en 1895, il a travaillé encore enfant dans une boulangerie, puis dans une forge. Son père voulait que le garçon devienne cordonnier – avec une telle profession, rien ne peut aller de travers –  mais Alberto rêvait d’autre chose.  Ce jeune autodidacte n’a jamais appris ni la peinture, ni la sculpture, mais essayait de transposer sur le papier tout ce qu’il voyait. Après s’être installé à Madrid, au début des années 1920, il a rencontré Luis Buñuel et Salvador Dalí, et a créé des scénographies pour les spectacles du théâtre de Federico García Lorca, La Baracca. Toutefois, sa première expérience n’a pas été couronnée de succès : les décorations ont été si épatantes qu’au début l’on n’a pas voulu les accepter par crainte qu’elles éclipsent les comédiens.  

Alberto Sánchez Pérez

Sánchez a noué des relations amicales avec Lorca : le sculpteur a pratiquement été le dernier à voir le poète à la veille de son départ fatal pour Grenade. Les franquistes l’ont fusillé en août 1936. 

En 1937, pour le pavillon d’Espagne à l’Exposition universelle de Paris, il a sculpté Le peuple espagnol possède un chemin qui conduit à une étoile : une stèle de 12 mètres installée devant l’entrée. À l’intérieur, l’œuvre d’un autre illustre Espagnol – Guernica de Pablo Picasso – accueillait les visiteurs. Les peintres ont vite trouvé un terrain d’entente : Picasso a suggéré à Sánchez de ne pas peindre la sculpture en laissant la couleur naturelle, mais ce dernier a insisté sur sa décision – la stèle teintée lui rappelait un bâton de gitan.

Libéraux et Démocrates, 1936

«L’art du poudrier et du pompon»

À la fin des années 1930, la guerre civile a secoué l’Espagne. Des batailles féroces pour Madrid faisaient rage, tandis que des attaques aériennes sur la ville emportaient la vie d’habitants et transformaient les maisons en ruines. L’un des bombardements a justement détruit l’atelier du sculpteur à Madrid, après quoi il a pris la décision de quitter le pays. Sa femme et lui devaient choisir entre la Grande-Bretagne, où il pourrait apprendre l’art de la fresque, ou l’URSS, qui acceptait les Espagnols fuyant les horreurs de la guerre. Enfin, la décision a été prise : Leningrad attendait la famille Sánchez. Il fallait pour s’y rendre prendre un bateau à vapeur qui partait du Havre. 

Après s’être installé en URSS, Sánchez a enseigné l’art aux enfants des émigrés espagnols et travaillé avec des théâtres. En 1938 déjà, il a créé le décor de spectacle Mystère dans le théâtre de l’Estrade, qui venait d’être récemment inauguré à Moscou.

Alberto Sánchez Gadaibura, le petit-fils du sculpteur, disait que celui-ci traitait avec ironie les opéras classiques et le ballet, les appelant « l’art du poudrier et du pompon ». En revanche, il était de plus en plus enthousiasmé par les œuvres dramatiques. Le tandem avec le Théâtre Romen à Moscou a été particulièrement haut en couleur. Sánchez a travaillé sur le spectacle La Savetière prodigieuse et Noces de sang, d’après les pièces de son ami Lorca. Ángel Jorge Gutiérrez, un Espagnol aussi, y était metteur en scène. Il a en outre réalisé le décor du spectacle d’après La Maison de Bernarda Alba, l’une des pièces les plus poignantes de Lorca, pour le théâtre académique musical de Moscou.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la famille Sánchez, avec d’autres Espagnols (qui n’étaient pas citoyens de l’URSS, et n’étaient donc pas appelés au front) ont été évacués vers la Bachkirie, dans le village de Kouchnarenkovo. Même en temps de guerre, ils ont trouvé les moyens pour rester soudés et garder un vif souvenir de leur pays natal. Par exemple, ils ont organisé une corrida improvisée : le rôle du taureau a été joué par une simple brouette, tandis que le sculpteur a lui-même endossé le rôle de l’alcade (maire), en charge de lancer le combat.

Nature morte, 1947-1954

«En peignant la région de Moscou, il finit par avoir la Castille»

Malgré son séjour en Union soviétique, Sánchez a gardé contact avec ses amis espagnols et français. Pablo Neruda, Dolores Ibárruri Gómez et Louis Aragon lui rendaient visite. Il sympathisait aussi avec le peintre russe Piotr Kontchalovski, qui parlait espagnol et lui a appris à travailler avec la peinture à l’huile. 

Alberto Sánchez Pérez et Pablo Neruda au musée Pouchkine

Dans ses œuvres de la période soviétique – paysages et sculptures – l’on ressent distinctement le coloris espagnol. Le réalisateur Grigori Kozintsev, avec qui Alberto Sánchez a travaillé pendant le tournage du film Don Quichotte, a dit qu’il avait vu en lui une incarnation vivante du personnage de Cervantes : « Il a vécu de nombreuses années en Union soviétique, toutefois, s’il peignait un paysage de la région de Moscou – il finissait par avoir Castille. C’est un sens de vue nationale étonnant ».

Don Quichotte et Sancho Panza, 1957

Malgré le fait que Sánchez a passé la moitié de sa vie en URSS, il s’est toujours considéré comme un peintre espagnol. Aujourd’hui, l’on peut voir ses travaux à côté des œuvres de Picasso dans le musée national centre d’art Reina Sofía, ainsi que dans des musées russes. 

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