Andris Liepa : le ballet, c'était un peu comme Avatar

Crédit : Fondation Maris Liepa

Crédit : Fondation Maris Liepa

Un siècle après le triomphe des Saisons russes sur la scène européenne, Andris Liepa, descendant d'une célèbre dynastie de danseurs étoiles et fils du chorégraphe Maris Liepa, remet en scène les Ballets russes de Diaghilev, dont « Le Coq d’or » et « Petrouchka ». Andris Liepa a accepté de se confier à RBTH sur le « Ballet du Kremlin », la dissidence et pourquoi il ne signe pas les lettres ouvertes politiques.

RBTH : Diaghilev a connu la gloire àParis. Interdits en URSS, ses spectacles sont restés àlaffiche en Europe pendant des années. Cela veut-il dire que durant tout ce temps, en URSS, personne na entendu parler des Saisons russes de Diaghilev ?  

Andris Liepa : Après l’arrivée au pouvoir des bolcheviks, Diaghilev a été invité par la Russie, mais heureusement, il a toujours refusé. Sinon, il n’aurait tout simplement pas survécu. Nombreux sont ses compatriotes qui n’ont pas souhaité quitter la Russie sous Lénine et qui ont été liquidés par le NKVD sous Staline. Un Russe passé à l’Ouest était perçu comme persona non grata en Russie. Il était impossible de programmer les spectacles d’un « non-revenant ».

Les noms Bolchoïet  Mariïnsky ne nécessitent aucune explication. Ces théâtres sont connus dans le monde entier. Mais quest-ce que le « Ballet du Kremlin », dont vous êtes le directeur artistique depuis un mois.  

A.L.: Au départ, la scène du Palais du Kremlin était la deuxième scène du théâtre du Bolchoï. Lorsque je suis entré dans le théâtre, j’ai travaillé au Bolchoï et au Palais des congrès du Kremlin. Tous ceux qui venaient de l’étranger en URSS se rendaient soit à un ballet du Bolchoï, soit à l’opéra au Kremlin. C’est pourquoi, les gens qui connaissent un peu le théâtre russe savent que c’est une seule et même entité. Pendant la Pérestroïka, le théâtre a été placé sous deux directions séparées : l’un est resté le Palais du Kremlin, l’autre est devenu le théâtre du Bolchoï.

Le nom « Palais du Kremlin »sous-entend quil est liéau Kremlin, n'est-ce pas ? Vous navez pas peur dune telle « proximitéavec le pouvoir »? Vous pourriez rencontrer des problèmes de communication avec les partenaires des pays occidentaux, comme cela a pu se produire avec certains de vos collègues. Je pense notamment au chef dorchestre Valeri Guerguiev

A.L.: Ces problèmes sont apparus après que Guerguiev ait écrit une lettre ouverte dans laquelle il approuvait la politique de Poutine à l’égard de l’Ukraine et de la Crimée. L’Occident a suivi cette affaire et si je comprends bien, ce sont ce type de lettres qui créent une pression à l’étranger. Je n’ai jamais signé de telles lettres, bien que je soutienne moi aussi cette politique. Un jour, mon père m’a dit : Andris, ne signe jamais rien.

Selon votre biographie, vous navez jamais étéen conflit avec le pouvoir. Sous Gorbatchev, vous avez étéle premier artiste àrecevoir une autorisation officielle de travail longue durée aux Etats-Unis. Comment avez-vous réussi àobtenir une telle confiance ? 

A.L.: C’était la Pérestroïka, un monde nouveau en Russie. En Amérique, ils me surnommaient même le Pérestroïka kid. On m’a remis le passeport soviétique avec un visa à sorties multiples. Vous ne pouvez pas vous imaginez ce que c’est. Sous l’Union soviétique, il était impossible de sortir du pays, même avec un visa sur ton passeport, par exemple un visa italien. Il fallait obligatoirement recevoir d’abord un visa d’autorisation de sortie du territoire. Moi, je pouvais ne rien dire à personne et m’en aller.

En Amérique, vous avez rencontré des dissidents 

A.L.: J’ai travaillé avec Barychnikov. Chez lui vivaient également d’autres solistes russes qui étaient interdits d’entrée en URSS.

Vous n’étiez pas suivi par le KGB ?

A.L.: Je n’étais suivi par personne. C’était une période de changement, cela se ressentait dans tout. C’est pourquoi il ne m’est même pas venu à l’idée de rester vivre en Occident. En URSS, il se passait à ce moment-là des choses incroyables.

Aujourdhui, lURSS nexiste plus : il a étéremplacépar un nouvel Etat. Quelle est la place du ballet dans la nouvelle Russie ?  

A.L.: Personne ne veut s’avouer qu’aujourd’hui, le ballet a perdu son caractère contemporain. Pas seulement en Russie, mais dans le monde en général. Il y a un siècle, c’était la forme d’art la plus moderne. Les ballets de Fokine étaient ce qu’est Avatar aujourd’hui. Maintenant, ils ne sont plus considérés comme une innovation. Et nous ne créons pas de spectacles abordant les thématiques, par exemple, de ce qui se passe en Irak ou en Ukraine.

Et pourquoi pas ?

A.L.: On ne le fait pas, c’est tout. Avant on le faisait. Le spectacle L’Âge d’or est une mise en scène sur le thème de la révolution. Le ballet contemporain n’est pas politiquement engagé. Mais il possède ce parfum d'ancienneté. En venant au théâtre, vous êtes forcément à la recherche de cette forme d’art archaïque. Et c’est merveilleux. Pourquoi croyez-vous que nous connaissons un tel succès actuellement avec les Saisons russes ? Cela fait cent ans, et c’est comme si vous y étiez : on veut revenir à l’époque précédente et voir ce qui était bien. Je restaure des spectacles pour que dans ma mise en scène, il y ait un jeune artiste, un peintre, un compositeur ou simplement un connaisseur de l’art qui s’étonne en voyant ce que les Russes ont alors été capables de faire.

Propos recueillis par Ilya Krol

 

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