Dessin de Konstantin Maler
Dessin de Konstantin Maler
Le 9 novembre, les organisateurs de l’Eurovision-2014 ont transmis aux chaînes de télévision Perviy Kanal et VGTRK, qui diffusent le concours, des lettres dans lesquelles ils font part de l’inquiétude des fans à l’égard de la loi interdisant la propagande de l’homosexualité adoptée par la Russie. En cas de victoire russe, l’Eurovision-2015 pourrait se dérouler à Moscou, aussi l’Union Européenne de Radio-Télévision (UER) s’inquiète pour les classements. Toutefois, l’UER n’avait pas l’intention de livrer la bataille à la Russie. La Russie et les pays de l’ancien bloc soviétique représentent une part de public conséquente et la plus active. Et même le scandale autour de la participation du travesti autrichien – la femme barbue Conchita Wurst — ne risque pas de perturber la diffusion du concours, malgré les pétitions des citoyens et organisations postsoviétiques préoccupés. L’Eurovision est un morceau juteux pour les diffuseurs.
Cette année à l’Eurovision, la Russie sera représentée par les jumelles de 17 ans Maria et Anastasia Tolmachevy. En 2006, elles ont remporté « l’Eurovision junior » avec la chanson Vesenniy Jazz qu’elles ont co-écrite avec leur mère. Leur victoire a partiellement compensé l’amertume de la défaite de Dima Bilan qui n’a pas tenu jusqu’à la première place. En 2014, les sœurs Tolmachevy vont à l’Eurovision avec la chanson de Philipp Kirkorov (chanteur russe, ndlr) Shine.
A l'Eurovision 2014, la Russie sera représentée par les sœurs jumelles Macha et Nastia Tolmatchev
En 1995, Kirkorov qui représentait la Russie au concours à Dublin, Kirkorov est arrivé 17e. Mais depuis voici presque 20 ans, il se profile régulièrement derrière les candidats représentant différents pays, tantôt comme auteur, tantôt comme producteur. Les résultats de ses protégés sont généralement assez élevés. Ses chansons n’ont jamais remporté de premier prix, mais les candidats qu’il supervise ont toujours leur dose de publicité en Russie. Kirkorov est toujours gagnant. Peu d’artistes russes parviennent à monétiser leur nom avec le même succès.
La chanson Shine comporte tous les attributs d’un hit potentiel. Mais il est difficile d’estimer ses chances sur fond de 36 autres numéros. Non pas parce que d’autres chansons sont meilleures (les bookmakers parient plus sur les numéros d’Azerbaïdjan, Suisse, Norvège, Hongrie, Belgique, Roumanie et Grande-Bretagne). Il est évident que toutes les éditions précédentes considérées comme politisées en Russie, cette année, passeront pour le sommet de la justice.
C’est par avance dommage pour les sœurs Tolmachevy. Les filles sont sympas, aguerries dans le milieu de la pop, mais jamais propulsées sur le devant des batailles politiques. Alors qu’on parle déjà sérieusement de la propagande dans le texte de la chanson, qui plus est, dans la phrase assez banale « Living on the edge, closer to the crime — cross the line a step at a time ». Le journaliste britannique William Lee Adams prétend avoir entendu Crimea (Crimée) à la place de « crime » et s’est servi de ce prétexte pour lancer une campagne sur Internet visant à écarter la Russie de la participation à l’Eurovision. L’Union Européenne de Radio-Télévision a validé le texte il y a longtemps, n’a aucune réclamation à l’égard de la Russie et s’est abstenue de tout commentaire à propos de l’action du journaliste. Mais il ne faut pas oublier que le concours se déroule sur fond de guerres d’information, où la « campagne pour l’interdiction de la candidature russe » se transforme dans l’esprit du public en un fait accompli. Aussi, plutôt que répéter, les sœurs Tolmachevy sont contraintes de répondre à de nombreuses questions sur la Crimée.
Il est fort probable qu’en mai 2014, nous assisterons au vote le plus politisé de l’histoire de l’Eurovision. Les qualités du numéro russe y passeront au troisième plan. Espérer une victoire pour la Russie serait étrange. Mais nous aurons accès à un direct que tout le continent pourra regarder. Alors, le bon numéro des sœurs Tolmachevy pourrait devenir un message capable de modifier l’image du pays. Et si le capital moral gagné aux Jeux olympiques de Sotchi s’est effacé derrière les « hommes polis », l’Eurovision est une bonne place d’armes pour tout recommencer.
Article initialement publié en russe sur le site d'Ogoniok
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