Source : Service de presse
Seule dans la forêt, Mélisande pleure. Le spectateur ne sait rien de cette héroïne diaphane, visage de l’éternel féminin. Golaud, petit-fils du roi Arkel, la retrouve sur son chemin ; touché par cette beauté innocente et vulnérable, il l’emmène avec lui dans son château. Mélisande y rencontre Pelléas, le demi-frère de Golaud…
Il n’y a guère de rebondissements à attendre de la pièce de Maurice Maeterlinck : l’amour et la jalousie condamnent inexorablement ces trois âmes tourmentées à la fatalité.
« Je ne connais aucune œuvre dans laquelle soient enfermés autant de silence, autant de solitude, d'adhésion et de paix, autant de royal éloignement de toute rumeur et de tout cri », écrivait Rainer Maria Rilke en 1902, année où la pièce fut adaptée à l’opéra par le compositeur Claude Debussy.
Bien qu’il appartienne à une génération d’écrivains influencés par le symbolisme russe, Maurice Maeterlinck est un auteur peu joué en Russie, ce qui n’étonne pas le metteur en scène Vladimir Aguéev : la matière de Pelléas et Mélisande est complexe, et sa structure inhabituelle.
« À l’époque soviétique, les acteurs ont reçu une autre formation esthétique, et ce bagage culturel peut se révéler encombrant », a-t-il expliqué à la chaîne Kultura. « Les jeunes, eux, sont plus malléables. Ils sont lumineux, souples. Il me paraît plus facile de travailler avec eux ».
Aussi Aguéev a-t-il monté la pièce non pas pour la grande scène du théâtre Vakhtangov, l’institution de la rue Arbat, mais pour le « Premier studio », discrète annexe qui se veut espace d’expérimentation artistique pour une nouvelle génération d’acteurs.
L’espace scénique est très resserré, tel une salle de cinéma. La distance entre comédiens et spectateurs, elle, quasiment abolie. Des silhouettes surgissent d’une obscurité gothique, leurs visages de porcelaine éclairés par des lampes de poche orientées par les comédiens eux-mêmes. L’atmosphère, froide, dépouillée, se rapproche d’un songe aux accents fantastiques.
Plus que des corps de chair et de sang, les personnages sont des apparitions, des êtres désincarnés récitant des sentiments sibyllins. Dans cette œuvre majeure du symbolisme – traduite en russe par Valéri Brioussov, chef de file de ce courant –, l’amour est allusif, silencieux, platonique et ne s’avoue que tardivement, quand il semble déjà voué à l’échec.
Vladimir Aguéev y a trouvé matière à expérimentations : sur scène, trois Pelléas et trois Mélisande se succèdent, un choix dont la justification reste obscure. L’adaptation s’autorise un mélange de genres inattendu, n’excluant pas des éléments de grotesque...
Ces derniers donnent une saveur singulière à certaines séquences que l’on croirait échappées d’un film de David Lynch. Le metteur en scène opte également pour un éclectisme musical qui ne convainc pas toujours, la volonté de « faire moderne » l’emportant par moments sur la pertinence.
Le spectateur entend, entre autres, Pink Floyd, Depeche Mode et une version a cappella d’Edith Piaf. On peut regretter que le metteur en scène sacrifie parfois la mélancolie brumeuse de la pièce au profit d’une excentricité criarde. Il réussit en revanche à mettre en valeur le texte à travers ses comédiens : le spectacle est porté par des interprètes talentueux et énergiques.
Pelléas et Mélisande, au Premier Studio du Théâtre Vakhtangov (Moscou). Spectacles le 16 mars, le 23 mars et le 6 avril.
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