Depuis les années 90, Marat Guelman (sur la photo) collabore avec les artistes activistes les plus radicaux. Crédit : Evguenia Smolianskaïa/RG
est un personnage de la littérature enfantine russe, inventé par le dessinateur Edouard Ouspenski en 1966 et adapté en film d’animation Crocodile Guena et de ses amis. Héro d’un dessin animé culte et aimé des enfants, Tchebourachka est une créature avec de grandes oreilles rondes, qui se déplace sur ses deux petites pattes arrières. A noter que Tchebourachka est devenu particulièrement populaire auprès des jeunes spectateurs japonais.
A l’origine de cette révocation, une exposition satirique de l’artiste sibérien Vassili Slonov sur les Jeux Olympique de Sotchi de 2014, organisée par le musée. Vassili Slonov se moque volontiers du personnage russe Tchebourachka*, mascotte de l’équipe olympique russe, ainsi que d’autres symboles des Jeux Olympiques : Tchebourachka en ski dans les « chiottes », Tchebourachka en grenade soviétique « Limonka », cinq crânes représentant les anneaux des JO, une bouteille de vodka et deux verres sur chaque marche du podium. Un humour, parfois noir, mais globalement inoffensif. Quelque 90 caricatures de ce type ont déjà fait le tour des journaux locaux sans que personne ne réagisse. A noter qu’avant de s’installer à Perm, l’exposition de Vassili Slonov a traversé Moscou et Saint-Pétersbourg, sans réaction. Mais les élus de Perm ont perçu cet événement comme une véritable menace envers leur sanctuaire, donnant lieu au final à l’interdiction de l’exposition, à des perquisitions et, sans doute, à un futur procès.
Mais la réputation de Marat Guelman a joué un rôle non négligeable dans cette histoire. Son nom est depuis longtemps associé en Russie à celui de provocateur et d’art qui choque. Là où Guelman est, attends-toi au scandale. Depuis les années 90, il collabore avec les artistes activistes les plus radicaux, dont Oleg Koulik, Alexandre Brenner, Avdeï Ter-Oganian. Le premier est entré dans l’histoire de l’art en tant qu’ « homme chien », le second, est celui qui a dessiné le signe du dollar sur un tableau de Malevitch, le troisième a « fendu à la hache une icône ». Autres « clients » de Guelman, le groupe des Nez bleus, qui s’est attiré les foudres avec des « policiers s’embrassant ». Sans compter d’autres dizaines de projets similaires. Et il ne s’agit pas d’actes spontanés, mais d’une stratégie bien rodée. Marat Guelman pense, et a déjà déclaré à plusieurs reprises, que « le scandale va dans l’intérêt de la liberté ».
Pourtant, derrière l’aspect protestataire et choquant de l’acte, ignorer le rôle incontestablement civilisateur du projet Guelman serait une erreur. Difficile de trouver ville plus appropriée pour la mise en œuvre de son «expérience» artistique et sociale. Le chômage, l’alcoolisme dévastateur, le climat rude de l’Oural, les nombreuses usines militaires et camps qui entourent les lieux... Perm est sans doute l’une des villes les plus fermées et les plus oubliées de la Fédération de Russie. En cinq ans, elle a connu des changements incroyables. Le poète moscovite Andreï Rodionov, qui travaille auprès de Marat Guelman en tant que directeur des relations publiques raconte : « aujourd’hui, plus de 2% du budget de la région va à la culture, un chiffre impensable pour la Russie. Un Musée d’art contemporain a ouvert. Le célèbre chef d’orchestre Théodore Kourentzis s’est rapproché de Perm où il produit d’excellents spectacles. C’est sans doute ce qu’il reste de meilleur du projet culturel de la ville : le musée et Kourentzis. Si l’on tient compte de toutes les difficultés auxquelles nous avons dû faire face, le résultat n’est pas si mal ».
Et ce n’est pas tout. Marat Guelman y a fait venir de nombreux poètes, musiciens et artistes de renom. Grâce à lui, tout le pays a entendu parler de Perm. Bien sûr, il y a eu aussi quelques ratés. Par exemple, l’idée de faire de la ville un centre de design contemporain a en partie échouée. « Les arrêts de bus artistiques conçus par Artemi Lebedev et sa troupe sont particulièrement dangereux », explique Andreï Rodionov. « Nous avons essayé de changer l’image de la ville, de lui donner un côté plus moderne. Les meilleurs designers d’aujourd’hui ont essaimé dans toute la ville la lettre « P » et autres curiosités, mais la construction n’était pas en fer ni en pierre, mais en contre-plaqué. Très indépendants, les habitants de Perm, se font leur propre idée par eux-mêmes. Ils raisonnent ainsi: vous, les artistes, vous essayez de nous divertir. On ne comprend pas vraiment, mais bon. Des artistes, quoi, un peu fous. Nous avons un rapport tranquille à la folie. Mais si vous commencez à toucher à la culture locale... Que ces gens-là existent, d’accord, mais qu’ils ne se mettent pas à nous diriger! Mais ce qui est intéressant, c’est le moment où Guelman a commencé à aller de l’avant et qu’il est devenu évident que le projet était en train de prendre forme. La presse d’opposition locale s’est elle-même mise à exiger que Guelman dirige le Musée, car il est l’unique spécialiste dans ce domaine et nous ne souhaitons personne d’autre. La logique est simple: on ne nous a pas demandé si nous voulions une révolution culturelle ou non, et aujourd’hui, on ne nous demande pas non plus si nous souhaitons qu’elle se termine ».
La culture de Perm est l’une des plus anciennes au monde. On y trouve une collection unique de sculptures en bois, de figures saintes recouvertes des plus belles peintures. Ainsi que le fameux style animal de Perm : de petites figurines de bronze, représentations d’animaux et d’oiseaux, caractéristiques de l’art scandinave. L’art nouveau, qui avait au départ peu de chance de survivre auprès d’une population à la mentalité encore traditionnellement soviétique, a finalement été accepté. Et même aujourd’hui, alors que le projet a été interdit, arrêter ce processus est quasi impossible. Ce magnifique musée, créé par Guelman qui, dans un premier temps, ne plaisait pas, a finalement été adopté par les habitants de Perm. La ville vient à peine de clôturer le Festival géant du livre baptisé « Nuits blanches », auxquels ont participé des écrivains venus des Etats-Unis, d’Israël, du Portugal. L’événement a attiré plus de 200 000 participants. En juillet, à côté de Perm, se tiendra également le Forum populaire des citoyens Pilorama, organisé en mémoire des prisonniers politiques et des victimes de la répression politique. Quelques dizaines de groupes venus de toute la Russie se produiront en concert. Marat Guelman ne sera pas présent, mais le mécanisme qu’il a mis en place poursuit son chemin.
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