Mariinsky 2 : une réussite controversée

De larges baies vitrées aux angles donnent une vue dégagée sur la perspective, le canal et, depuis les étages supérieurs, sur les toits et les coupoles de Saint-Pétersbourg. Crédit : Gilles Guerlet

De larges baies vitrées aux angles donnent une vue dégagée sur la perspective, le canal et, depuis les étages supérieurs, sur les toits et les coupoles de Saint-Pétersbourg. Crédit : Gilles Guerlet

Du 2 au 4 mai s’est tenue à Saint-Pétersbourg l’inauguration officielle du nouveau théâtre Mariinsky 2. Une cérémonie d’ouverture féérique, un public trié sur le volet, les stars incontestées de l’opéra et du ballet rassemblées devant un public ébahi, le tout dirigé par la baguette assurée d’un Valéry Guerguiev fêtant ses 60 ans et plus en forme que jamais. Cet événement est sans doute l’un des plus significatifs de l’année pour Saint-Pétersbourg, qui tend à reconquérir sa place de capitale culturelle.

Péripéties et controverses 

C’est devant un public chamarré en robes et smokings de célébrités du monde artistique et politique, que le président Poutine, venu à cette « pendaison de crémaillère », a tenu à souhaiter un bon anniversaire au « Maestro Guerguiev » en le félicitant pour sa persévérance dans cette entreprise.

Ce projet étalé sur une dizaine d’années et qui a coûte 22 milliards de roubles  (550 millions d’euros) aux contribuables ne risquait pas de passer inaperçu. Un premier projet abandonné pour raisons techniques, celui du Français Dominique Perrault, a fait place à celui des architectes canadiens du bureau Diamond Schmitt. Un espace gigantesque de près de 80 000 m² répartis sur 7 niveaux destiné à accueillir 2000 personnes. Une scène centrale, un auditorium pour les représentations plus intimistes et les ateliers artistiques, un amphithéâtre sur le toit. Cet espace vient compléter le théâtre historique Mariinsky, qui date de 1860, et le Nouvel auditorium, inauguré en 2006. Valéry Guerguiev, qui règne en maître absolu depuis maintenant 25 ans (encore une célébration) sur cette triple institution culturelle célébrant l’art lyrique et le ballet a démontré une nette volonté de porter Saint-Pétersbourg au rang de capitale culturelle mondiale.

Le projet de Mariinsky 2 a coûte plus de 550 millions d’euros. Crédit : Gilles Guerlet

Certains riverains sont pourtant scandalisés. Le jour du gala, ils brandissent des pancartes « Bon anniversaire au PDG du « Centre commercial » Mariinsky ».  « Regardez-ça. Ajoutez des affiches publicitaires sur la façade et vous avez là une très belle galerie commerciale. Cet édifice est une insulte à l’architecture du quartier et de la ville entière. C’est du vandalisme et il mérite d’être rasé », s’indigne Kirill Volkov, membre de l’association de défense des monuments historiques et culturels de Saint-Pétersbourg et habitant du quartier. De l’extérieur, en effet le bâtiment ressemble un bloc monolithe minimaliste et manque de charme.

Pour le foyer, les architectes ont misé sur la lumière et la transparence. De larges baies vitrées aux angles donnent une vue dégagée sur la perspective, le canal et, depuis les étages supérieurs, sur les toits et les coupoles de la ville. « Le mur d’onyx illuminé de l’intérieur donne la chaleur indispensable dans cette ville du Nord. L’escalier monumental en verre de 33 mètres de haut monte en volute sans alourdir l’espace. Les pendants en cristal Swarovski évoquent la légèreté d’une envolée de libellules », explique Joshua Dachs, directeur du bureau new-yorkais responsable du design. Pour d’autres, ces pendeloques rappellent plutôt une déco de salle de bain bon marché, mais le but est atteint, la lumière et l’énergie circulent. Toutefois, il ne fait aucun doute  que l’attention de Guerguiev s’est focalisée non sur les parties communes mais sur la scène principale. Une attention particulière est donnée à la perfection acoustique, la fonctionnalité de l’espace, la visibilité, le confort.

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Réussite incontestable

La perfection et la rigueur de la salle de concert  a de quoi réconcilier tout le monde. Selon Isabelle Partiot-Péri, architecte française et metteur en scène ayant travaillé en 2006 et 2009 sur des spectacles du Mariinsky : « On dirait que Guerguiev a pris toutes les contraintes classiques des salles d’opéra et de théâtre pour les résoudre au mieux. Acoustique, distance, inclinaison, lumière. Le rapport salle/scène est optimal, il y a une véritable proximité entre le public et la scène. La visibilité est assurée de partout même des balcons latéraux et sans se tordre le cou. Le tracé des balcons allant jusqu’au cadre de scène crée une ligne de fuite qui porte le public vers la scène. Tout est pensé. Le sol est posé non sur du béton mais sur une structure en bois qui crée un effet de résonnance ».

De g. à dr.: l’architecte Jack Diamond, le chef d'orchestre Valéry Guerguiev et l'ingénieur acousticien Jürgen Reinhold. Crédit : Pauline Tillmann

Pour le gala d’ouverture, Valéry Guerguiev nous en met plein la vue. Un véritable feu d’artifice de stars avec les plus grandes voix russes actuelles : Anna Netrebko, Olga Borodina, Evgeny Nikitine et un invité de marque, Plácido Domingo. Les deux orchestres symphoniques, le chœur d’enfants, mais aussi, les étoiles incontestées du ballet comme Ouliana Lopatkina, Diana Vichneva et les élèves de l’Académie de ballet Vaganova, sans oublier la présence du pianiste Denis Matsuev et du violoniste Leonidas Kavakos pour un « best of » musical des plus grands compositeurs de tous les temps.

Une programmation à la hauteur des attentes qui laisse tout le monde satisfait et repu. Les musiciens sont rassurés : « Nous attendions de jouer dans la salle remplie. C’est toujours risqué, l’acoustique peut changer. Mais, rien à redire »,  sourit Olessia, violoniste de l’orchestre symphonique du Mariinsky. Le public est conquis. A la sortie, les superlatifs fusent : « Grandiose, magnifique, inégalé, impressionnant ». Et les sourires resplendissent. Apparemment, l’intérieur fait oublier l’extérieur.

Catherine Barré, présidente de l’ATHEMA (Association française des amis du théâtre Mariinsky), fondée en 2004,  jubile. « Le résultat est tout simplement parfait. Ce soir Valéry Guerguiev a fait montre de tout son savoir-faire artistique et technique. C’est un homme de vision qui a le courage de prendre des risques, de dépasser les difficultés et de faire rêver. Car l’art c’est aussi la légèreté. Quand aux contestations, rappelez-vous les réactions face à la Pyramide du Louvre. On sait tous qu’il faut du temps au gens pour s’habituer et accepter la nouveauté ».

Continuité et avenir

Guerguiev répète inlassablement que, pour lui, l’essentiel est de créer un lieu vivant d’échange, accessible au plus grand nombre. « La scène historique ne pouvait tout simplement plus contenir la quantité de public, ni tous les projets que je souhaite réaliser. » En arrivant sur son nouveau lieu de travail, il n’hésite pas à faire entrer avec lui une vingtaine de fervents admirateurs restés devant le théâtre sans tickets. Cependant, le service de presse affirme que le prix des tickets restera identique à celui du Mariinsky historique (de 12 à 30 euros généralement) afin de garder son public. Il insiste également sur sa volonté de faire renaître les chœurs d’enfants et, grâce aux nouveaux moyens techniques, d’enregistrer toujours plus de concerts et d’opéras avec son label Mariinsky fondé en 2009. 

C’est comme si ce lieu avait pour vocation de donner un nouvel élan à la force créatrice et de porter la ville à un niveau culturel mondial. « Les mécontents n’ont qu’à venir à un spectacle, on en reparlera ensuite », tranche l’architecte canadien Jack Diamond pour mettre fin à la polémique. Rendez-vous pour l’inauguration de l’amphithéâtre de 200 places  sur le toit du Mariinsky 2, lors du prochain festival d’art lyrique Etoiles des Nuits Blanches de Saint-Pétersbourg qui se tiendra du 24 mai au 28 juillet.

Festival de Pâques

A peine inauguré le Mariinsky 2, l’infatiguable Valery Guerguiev, à la grande joie des mélomanes, était déjà à Moscou en ce dimanche 5 mai pour l’ouverture de la 12ème édition du non moins attendu Festival de Pâques qui se prolongera jusqu’au 15 mai à Moscou mais aussi dans de nombreuses grandes salles à travers la Russie.

Crée à son initiative en 2002, ce festival marque le début d’une fête très importante pour les Russes orthodoxes, la musique aura donc pour vocation « d’élever l’âme vers Dieu », selon le Métropolite Cyrille. 90 concerts dans plus de 33 villes, c’est toujours dans un rythme effréné, enchaînant parfois jusqu’à trois concerts par jour que le Maestro tend à faire perdurer les traditions religieuses et patriotiques dans toute la Russie à travers la musique et le chant et en remettant au goût du jour les formes oubliées comme les chœurs d’enfants ou encore les carillons d’église.

Cette année, le programme est consacré à la célébration des 70 ans de la bataille de Koursk, étape décisive pour la victoire des Russes contre les Allemands durant la Grande guerre patriotique. Les concerts seront, pour la plupart la première fois, donnés dans les villes de Russie célèbres pour leurs affrontements comme Koursk, Orel, Belgorod et bien d’autres. Bien que Guerguiev regrette souvent le manque de qualité acoustique des salles de concert.

Ouvert, le 5 mai au Conservatoire de Moscou par l’orchestre symphonique du Mariinsky avec la basse René Pape, puis Denis Matsouev au piano jouant Tchaïkovski, le programme s’annonce très intense. Cette année est décidément riche en célébration. Les 60 ans de Guerguiev et ses 25 ans de direction du Mariinsky, les 140 ans de Rachmaninov mais aussi le bicentenaire de Wagner et de Verdi. Tous seront célébrés lors de ce festival dans une apothéose lyrique et musicale.

Le programme du festival de Pâques est disponible en anglais sur le site du festival.

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