Scène du film "Detotchki" de Dmitri Astrakhan. Source : Zolotoï Vek
Valery Astrakhan est un réalisateur dit « populaire ». Il fait des films pour le peuple, reconnaissables à leur optimisme morose : la vie est un cauchemar mais « tout va s’arranger ». Les chiffres, eux, ne sont pas optimistes du tout. Son avant dernier film a récolté moins de 400 000 dollars en Russie, le dernier pas plus de 7 000 dollars. A croire que ceux qui regardent ses films ne vont pas au cinéma.
Son dernier film, Detochki (Les gosses) est un véritable signal d’alarme et met tout le monde mal à l’aise. Malgré le succès de la première, son destin reste indéterminé.
Le pitch : des oligarques et des bandits, ces maîtres du monde, de mèche avec la direction d’un orphelinat abusent des pauvres gamins. Un thème explosif qui provoque des réactions violentes. Mais le film voit plus large que la simple provoc, il dénonce l’impunité dans un pays où les mécanismes de défense sont totalement paralysés et ne remplissent plus leur fonction. La police et les forces de l’ordre ont les poings liés et restent impuissants face aux « personnes influentes ». Alors, les enfants, laissés pour compte, prennent en main leur destin et les armes pour former une équipe de « justiciers invisibles », référence au cinéma révolutionnaire soviétique.
La différence avec ces films des années 60, qui fleuraient bon le romantisme révolutionnaire, est que celui-ci sent le roussi et annonce un danger imminent. Ces anges vengeurs s’attaquent à des problèmes sociaux bien réels en affrontant des pervers corrompus, des médecins assassins et autres barons de la drogue qui sont pourtant tous connus des services de police. Le message du film : si la loi est inefficace, ce sont les hors-la-loi qui se chargeront de la faire respecter. Et si les habitants du village dans lequel se déroule l’action prennent le parti des jeunes justiciers et même comptent sur eux pour rétablir l’ordre, c’est la preuve que le film a touché dans le mille est que le public dans la salle est avec eux aussi.
Ce film ne risque-t-il pas d’inciter à une réaction semblable dans la vraie vie, en révélant des justiciers en chacun de nous ? Ensuite, il n’est plus question de romantisme ou de jeu, mais d’une guerre sans merci où les têtes devront tomber. Tout l’arsenal militaire et de police part en guerre contre les gamins armés de couteaux. Mais le point culminant à la fin du film, lorsque tous les garçons du village viennent soutenir les orphelins est une véritable catharsis, une des scènes les plus choc du cinéma russe récent.
Si, au cinéma, la rébellion a toujours été l’apanage des vétérans et retraités, vieux révolutionnaires, aujourd’hui, ce sont de simples orphelins sans foi ni loi, ayant une vision de la justice très instinctive qui se rebiffent tels des louveteaux, qui brandissent l’étendard de la justice et partent le couteau entre les dents : voila l’avenir de la nation. Et, à en croire le film, nous sommes totalement impuissants face à cela.
« Astrakhan est un artiste unique. Unique car totalement dépourvu de cette réflexivité artistique, propre à la plupart des artistes russes. Ce réalisateur n’a pas l’ombre d’un doute et s’attaque de plein fouet à un sujet qui ferait en frémir plus d’un car il nécessite une véritable prise de conscience. Il traite ce sujet sans hésiter ou réfléchir et le résultat est impressionnant : un scandale de ce qui se passe dans la tête monumentale de notre bonne mère Patrie », rapporte Olga Chakina, Vedomosti.
« C’est une véritable encyclopédie de la vie russe : avec toutes les nuances de l’injustice à laquelle sont, de nos jours, constamment confrontés les Russes et qu’il n’ont plus d’espoir de résoudre sans couteau ». Maria Kouvchinova, journal Aficha.
Paru sur le site de Rossiyskaya Gazeta le 8 avril 2013.
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