Vincent Perez : "Stanislavski m’a dirigé vers Tchékhov, et jusqu’à présent, jouer dans ses pièces étonnantes a été la partie préférée de mon étude et de mon travail professionnel". Crédit : RIA Novosti
Votre tout dernier film s’intitule Un Prince (presque) charmant. Vous interprétez un banquier dans la crise de la quarantaine sur fond de crise qui a lieu en France. Deux crises pour une comédie romantique, n’est-ce pas un peu trop?
C’est très banal de le dire, mais le cinéma est le miroir de la société. La France vit un moment difficile. Les riches ne veulent pas payer d’impôts. La gauche est arrivée au pouvoir. Des grèves ont lieu toutes les semaines, mais pas seulement en France, c’est aussi le cas en Italie ou en Espagne. Où cela nous conduit-il ? Le scénario du film a attiré mon attention par ses observations fraiches sur la vie parisienne : les gens perdent leur travail, leur équilibre intérieur, ils ne s’occupent plus de leurs enfants. Dans le tableau, il n’y a aucune déclaration politique, mais il se dessine un fond général qui se réfère incontestablement à la vie quotidienne. Mais si l’on veut parler précisément du sujet, il est question de comment nous nous retrouvons tous "utilisés" par la société de consommation. Il y a quelque chose de Luc Besson dans mon personnage, et c’est en tout cas comme cela que je l’ai joué.
Cela évoque involontairement Gérard Depardieu avec lequel vous êtes liés par un prochain projet, et aussi par l’amitié avec la Russie. N’avez-vous pas été surpris par ses dernières péripéties ?
Oui, avec Gérard, nous allons bientôt tourner un film, non pas en Russie, mais en Afrique, et la réalisatrice sera ma femme, Karine Silla. Chez nous, on compare Depardieu avec la Tour Eiffel. Peut-être que les Russes vont nous l’acheter et la ramener aussi en Russie ? On peut surtout bien plaisanter à l’égard de Gérard, mais il a simplement exprimé ce que beaucoup pensent. Et il faut dire que si tu ne penses pas comme la gauche, on te considère comme un traitre, c’est tout simplement de la terreur psychologique ! On a déjà donné toute notre vie 75% de nos revenus, mais maintenant ils veulent tout nous prendre. D’autres s’indignent dans leur cuisine, mais Gérard leur fait un geste signifiant "Fuck you".
Quels films et quels gens ont joué un rôle fondateur pour votre carrière d’acteur ?
Le premier qui m’a donné une leçon a été Patrice Chéreau, et pas seulement une leçon d’acteur, mais aussi d’escrime. J’avais 23 ans, et je jouais dans la pièce Hamlet, c’était le moment où je devais me battre contre Laertes. Plus tard, ces habitudes m’ont été très utiles sur le tournage de Fanfan la Tulipe. Indochine de Régis Varnier a été un film important. C’était la première fois que je tournais avec une aussi grande star du cinéma que Catherine Deneuve. Avec elle, nous avons découvert ce pays extraordinaire qu’est le Vietnam, qui n'était encore alors qu’à moitié ouvert au monde : il n’y avait pas là-bas de voitures et beaucoup d’autres attributs de la civilisation. Ce fut romantique, émouvant et très utile d'un point de vue professionnel. C’est la première fois que j’ai ressenti aussi intensément un rôle. Ces derniers temps, je consacre plus mon attention sur la comédie. Je préfère faire ma carrière en France. J’ai tourné en Angleterre et aux Etats-Unis, mais je ne m’y suis pas senti dans mon assiette. J’ai ensuite compris que si je suis fort sur ma terre natale, c’est là que je serai fort. Si je suis faible chez moi, je n’aurai plus de succès à l’étranger. En fin de compte, un acteur doit se renouveler tous les dix ans, sinon il ne serait pas intéressant.
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Qu’est-ce qui différencie les tournages outre-Atlantique avec ceux de l’Europe ?
En Amérique, tout est "énorme": je parle maintenant des studios de cinéma. Tu sors de ta caravane sur le plateau de tournage, et on entend dans les haut-parleurs : « Voilà Vincent Pérez ! » Tu te sens être somebody. Même sur un projet modeste que j’ai fait en tant que réalisateur au Canada, il existait une très forte hiérarchie sur le plateau. Je n’avais pas le droit de m’adresser directement à un figurant avec n’importe quelle indication, mais seulement par le biais de l’assistant du réalisateur. Comme je ne respectais pas cette règle, ils m’ont fait des reproches. Au final, j’ai compris que si je m’adressais directement à un figurant, cela lui donnait automatiquement le statut d’acteur, et donc il fallait le payer plus cher !
Nous connaissons vos rapports personnels avec la culture, le théâtre et le cinéma russe. Quelles sont les racines de cette affinité ?
Dans ma jeunesse, je me passionnais pour James Dean et Marlon Brando, et j’ai appris qu’ils avaient suivi les cours du célèbre Actor Studio new-yorkais en suivant la méthode Stanislavski. Je me suis mis à étudier les travaux de Stanislavski et ma vie en a été bouleversée. Stanislavski m’a dirigé vers Tchékhov, et jusqu’à présent, jouer dans ses pièces étonnantes a été la partie préférée de mon étude et de mon travail professionnel. La littérature russe est pleine de passion : il n’y a pas très longtemps, j’ai été à nouveau convaincu de cela après avoir lu la Fille du Capitaine de Pouchkine. Et le cinéma russe également. J’ai découvert Tarkovsky et Eisenstein il y a bien longtemps, et parmi les réalisateurs contemporains, j’estime tout particulièrement Sergueï Solovev et Pavel Tchoukhraï, j’espère pouvoir travailler avec eux.
Vous êtes venu au festival L’Esprit de Feu avec une exposition photo. La photographie est une autre passion ? Une autre profession ?
C’est la passion qui m’anime principalement. J’aime faire des portraits d’acteurs, y compris des Russes comme Tabakov et Djigarkhanian. C’est surtout un défi passionant et très difficile de photographier des grands artistes du ballet en train de danser. Pour cela, je me suis spécialement rendu au théâtre du Bolchoï lors d’une répétition du Lac des Cygnes. J’ai travaillé avec Tsiskaridze et d’autres maîtres, ils sont tous fascinants !
Paru sur le site de Kommersant le 25 février 2013.
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