La quête des grands espaces

La réserve naturelle de Sikhote-Aline.

La réserve naturelle de Sikhote-Aline.

Geophoto
RBTH a rencontré deux aventuriers français. Épris de géographie et de littérature, ils nous racontent « leur » Extrême-orient russe.

« Il y existe plusieurs Extrême-Orients russes », dit-on. S’étendant sur près de 6,2 millions de km, ce territoire intrigue par son immensité, sa grandeur et son isolement. Sylvain Tesson et Cédric Gras, écrivains passionnés d’alpinisme et de voyages, ont parcouru cette région, aussi légendaire que méconnue. 

D’où vous vient cette fascination pour les grands espaces et l’Extrême-Orient ?

Sylvain Tesson : Les grands espaces, c’est le nihilisme de la géographie. Vous pouvez vous trouver dans une plaine, une steppe, un désert, et des jours durant, vous avancez à faible vitesse dans un espace qui ne changera pas. C’est ce qui m’a beaucoup intéressé et fasciné quand je pratiquais de grands espaces. Le néant des grands espaces. Et puis, j’ai aimé ces endroits parce qu’on peut y être seul pendant longtemps.

Cédric Gras : Épris de voyages, les grands espaces, notamment sibériens et de l’Extrême-Orient russe, m’intéressent par leurs disparités, le contraste géographique, mais aussi celui des hommes. L’Extrême-Orient est pour moi un bonheur, d’abord parce que j’aime la Russie, les Russes, la langue, et puis pour la nature : la mer, la montagne, les extraordinaires forêts… Et l’immensité ! Marcher une semaine, dix jours, sans croiser un homme est un véritable luxe. 

Qu’est-ce qui caractérise la région ?

CG : Le territoire est gigantesque, et encore aujourd’hui, on n’y voit pas le paysage de la mondialisation. Du point de vue économique, les grandes enseignes ont du mal à s’installer en Extrême-Orient, du fait du marché très restreint. Aujourd’hui, sortir du monde c’est un peu sortir de la globalisation. Or, pour moi, ce paysage urbain aussi est important.

Quelle est votre plus belle découverte en Extrême-Orient ?

ST: 

La montagne du Sikhote-Aline, dans le Primorié, qui s’élève entre Vladivostok et le delta de l’Amour. C’est l’authentique Extrême-Orient russe, avec des forêts de feuillus, des montagnes qui culminent à 1 500 mètres d’altitude et une climatologie un tout petit peu tempérée par les influences océaniques de la mer du Japon. Les forêts y sont magnifiques. Il y a quelque chose de grave et d’austère dans la taïga, un paysage de conifères qui, parfois, peut être très lugubre. Dans la forêt du Sikhote-Aline, il y a davantage de profusion, de douceur. 

CG : L’automne en Extrême-Orient russe, qui est d’une sublime beauté, de par sa richesse florale. Mais plus qu’un évènement, ce qui caractéristique ce voyage pour moi, c’est le temps passé dans un pays dont la culture n’est pas accessible chez nous. En ayant vécu là-bas, j’ai eu l’impression de m’être ouvert un monde totalement inconnu. 

Vous vous êtes chacun engagés dans des aventures différentes : une traversée « à la chasse aux feuilles rouges », dans L’hiver aux trousses, et une vie d’ermite pendant six mois dans une cabane sibérienne, avec Dans les forêts de Sibérie. Quelles étaient vos intentions ? 

CG : Dans L’hiver aux trousses, je voulais rallonger l’automne qui, dans cette région, est extraordinaire. Parti sous le cercle polaire, je suis descendu pendant deux mois. Et j’avais véritablement l’hiver aux trousses. Il m’a gagné deux fois, avec la neige, et chaque fois, je descendais vers le sud et retrouvait l’automne, sa luminosité et ses feuilles rouges. C’était incroyable !

Cédric Gras. Crédit : Aurélien MasCédric Gras. Crédit : Aurélien Mas

ST : Pour moi, il ne s’agissait pas uniquement d’une expérience de repli solitaire. C’était une volonté charnelle d’enracinement dans une forêt russe : la taïga. C’était un projet physique, géographique, ancré dans le Baïkal. Parmi tous les paysages que j’ai pu contempler dans ma vie, celui du lac Baïkal m’a semblé répondre le mieux à l’extraordinaire classicisme du paysage. Une proportion, une harmonie, un équilibre, une symphonie, un jeu de réponse de la lumière, les formes du relief, le jeu des éléments, la roche, la fourrure des forêts, l’eau, la montagne, le ciel…

L’espace et le temps sont-ils indissociables dans une cabane sibérienne ? 

ST : En tout cas, l’équation est résolue. La coexistence des extrêmes est là. La vie consiste à trouver un équilibre entre l’impossibilité de ralentir le temps et celle de courir l’espace. La cabane en plein espace sibérien vous procure à la fois le sentiment de peupler un monde et celui d’épaissir et de ralentir le temps. D’où son incomparable luxe. 

Sylvain Tesson, vous écrivez : « je n’ai jamais ressenti à la lecture d’une seule de ces pages le dixième de l’émotion que j’éprouve devant ces rivages. Je continuerai pourtant à lire, à écrire ». Que représente, pour tous les deux, l’écriture face à la nature ? 

ST : La nature, c’est la marche, dans le froid. L’écriture, vous êtes tranquillement installé chez vous et vous essayez de composer quelque chose sur une feuille de papier. Mais comme pour l’activité physique, l’écriture trouve la jouissance de sa conclusion.

CG : Je suis resté en Russie parce qu’il y avait ce que j’ai toujours aimé faire, les voyages, les paysages, et puis la langue, que je trouve très poétique. Et l’écriture a commencé pour moi avec la Russie parce que j’avais quelque chose à raconter. Il n’y avait plus eu de livre écrit en français sur l’Extrême-Orient russe depuis la révolution de 1917, avec Les temps sauvages de Joseph Kessel. Ce vide littéraire sur le sujet m’intéressait.

Biographie

Sylvain Tessonn

Ce voyageur est l’auteur de Dans les forêts de Sibérie et de Bérézina, paru en 2015, dans lequel il refait le trajet en side-car de la retraite de Russie.nnCédric 
GrasnnAuteur des récits Vladivostok : neiges et moussons et de L’hiver aux trousses, il vient de sortir son premier roman, Anthracite, sur la région du Donbass en Ukraine, entre guerre civile et mines d’anthracit.

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