Elets, une ville entre poésie et dentelle

La ville d’Elets a été fondée en 1146, soit un an plus tôt que Moscou. Si elle a vécu plusieurs invasions mongoles, elle reste pour l’instant épargnée par l’affluxde touristes

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Elets, située à environ 400 kilomètres au sud de Moscou dans la région de Lipetsk, est l’une des rares villes de Russie qui parvient à garder l’équilibre : ce n’est pas la désorganisation totale, mais ce n’est pas non plus une ville-musée destinée uniquement aux touristes.

Le centre d’Elets est constitué du musée de l’architecture religieuse, deslieux liés au premier prix Nobel russe de littérature, Ivan Bounine, qui y étudia et écrivit ses premières œuvres, ainsi que de la tour horloge en briques rouges.

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Aliments locaux et commerce de proximité

En onze jours, je n’ai pas pris une seule fois les transports en commun. J’ai goûté du lait de chèvre bourru dès que je suis arrivée, mais je ne me suis connectée au wifi que le troisième jour.

Un séjour à Elets est un excellent moyen de faire une cure de digital detox, ce jeûne des hyperconnectés : les membres de famille des habitants débarquent depuis leurs mégalopoles pour les aider dans le potager et faire des provisions de salaisons et de confitures pour l’hiver.

Nos voisins accueillent un parent de Mourmansk (à presque 2000 kilomètres au nord). Il reste des heures entières à prendre des bains de soleil dans le potager pour faire le plein d’énergie avant l’hiver polaire. Il a des légumes à ses pieds et des fruits suspendus au-dessus de sa tête : la récolte dure pendant tout l’été et est siabondante qu’un orage ou un vent violent peut faire tomber d’un abricotier jusqu’à 7 kilos de fruits. La terre est si grasse et si noire que si l’on marche pieds nus, on n’est pas sûr de pouvoir s’en débarrasser complètement même après une séance de sauna.

La région de Lipetsk est propice au développement de l’élevage et le lard salé est un produit traditionnellement préparé pour l’hiver. Nous allons en acheter au marché où le commerce légal côtoie le commerce spontané. Les habitants de la ville connaissent bien la « femme à lard » qui vient tous les matins s’installer à l’entrée du pavillon aux poissons. Elle ne vend rien et ne propose rien. Elle n’attire que ceux qui connaissent son lard fumé succulent. Elle promet de nous apporter 10 kilos de son mets délicat dans une semaine et note notre numéro de téléphone dans un carnet plein de taches de gras. 

Bounine et l’architecture religieuse

Le centre-ville est un véritabletrésor de l’architecture religieuse russe. La cathédrale de l’Ascension qui se dresse sur la rive de la Sosna reste la pièce maîtresse architecturale d’un paysage pratiquement inchangé depuis le XIXe siècle. L’absidiole de la cathédrale jaune citron de l’architecte Konstantin Thon a des murs vert clair à bandelette ornée. Dans la pénombre fraîche de l’intérieur, on remarque les icônes, l’une plus sérieuse que l’autre. Côté rue, les formes pompeuses de l’abside cachent en partie un avant-toit bleu soigné : c’est la fosse commune des habitants de la ville qui ont sacrifié leur vie en luttant contre les hordes de Tamerlan en 1395.

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La cathédrale de l’Archange Michel est pendant longtemps restée en ruines, mais les travaux de restauration ayant débuté cette année, elle a accueilli l’office de Pâques. C’est l’église décrite par Ivan Bounine – son héros lyrique aimait faire un tour du côté de la rue Arkhanguelskaya (de l’Archange) –, qui a fait ses études au gymnase de la ville de 1881 à 1886.

Le centre-ville est décrit en détail dans une nouvelle de son recueil Les Allées sombres qui lui a valu le prix Nobel en 1933 : « Mon objectif était de me rendre dans la rue Staraya. Je pouvais y aller en empruntant un chemin plus court. Mais je me suis engagé dans ces larges rues passantdans les jardins parce que je voulais revoir mon gymnase. Une fois arrivé à sa hauteur, je fus étonné : tout y était comme il y a cinquante ans ; le mur en pierre, la cour de pierre, le grand bâtiment de pierre dans la cour… ».

Les murs blancs de la cathédrale portent de petites blessures qui laissent entrevoir des briques rouges : ce sont les traces de tirs allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, une balafre sur le cœur de la ville.

La ville de dentelle

La maisonnette en bois de couleur bleue située dans la rue centrale de la ville, piétonne, abrite le musée et le magasin de la dentelle. Des centaines de dentellières pratiquent le tissage dans l’entreprise locale et chez elles. C’est un artisanat bien vivant dont la tradition remonte au XVIIIe siècle. La dentelle d’Elets est plus fine et plus légère que celle de Vologda et le travail le plus délicat est toujours réalisé à la main, sur fuseaux. Des vêtements de femmes, du linge, des foulards et des châles, des nappes, des serviettes et des abat-jours en dentelle d’Elets sont exposés dans de nombreux musées de Russie.

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L’art de la dentelle est perpétué grâce à la tradition familiale. Les femmes de la famille deviennent dentellières de mère en fille. Au XIXe siècle, les garçons apprenaient eux aussi à confectionner de la dentelle, mais aujourd’hui c’est un secteur réservé uniquement aux représentantes du beau sexe. Depuis le début du XXe siècle, cet art est enseigné à la faculté de design de l’Université locale.

L’entreprise de dentelle locale organise des stages de deux mois pour tous les amateurs. Les jeunes stylistes russes qui souhaitent soutenir l’artisanat y placent des commandes. Ainsi, la créatrice Ouliana Sergueïenko a orné de dentelle d’Elets sa collection présentée à Paris.

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