Akademgorodok, utopie soviétique ou Silicon Valley sibérienne ?

Novossibirsk, Russie, 20 septembre 2011. Une vue aérienne de la ville.

Novossibirsk, Russie, 20 septembre 2011. Une vue aérienne de la ville.

Yury Mashkov/TASS
Comment la Russie concentrait-elle les forces intellectuelles, spirituelles et culturelles en plein cœur de la Sibérie ? Comment vit aujourd’hui le centre scientifique célèbre dans le monde entier et pourquoi la nouvelle vague de « fuite des cerveaux » n’y fait frémir personne ?

La cité scientifique Akademgorodok fut fondée en Sibérie en 1957, en pleine euphorie du dégel, sur ordonnance du secrétaire général du Parti communiste Nikita Khrouchtchev. A l’époque, la foi dans les capacités illimitées de la science et la mission exceptionnelle des scientifiques régnait en URSS. La cité fut érigée à 30 km de Novossibirsk, dans un endroit qui semble plus adapté aux ours qu’à l’activité scientifique. L’hiver y dure près de six mois : d’octobre à avril, le thermomètre affichant régulièrement –40С°. Notre correspondante Marina Moskalenko, qui est née et a grandi à Akademgorodok, nous raconte comment vivent et à quoi se consacrent les scientifiques d’aujourd’hui. 

« La fuite des cerveaux est interdite »

Près du parc scientifique d’Akademgorodok, des panneaux affichent « La fuite des cerveaux est interdite », comme pour rappeler l’émigration massive des scientifiques russes suite à l’effondrement de l’URSS dans les années 90.

La situation a changé. « J’ai de nombreux collègues qui ont une expérience de travail à l’étranger, mais qui sont tous revenus en Russie »,  raconte Pavel Krokovny, chercheur à l’Institut de physique nucléaire. « Nous participons à des projets internationaux et collaborons avec le laboratoire de physique des hautes énergies Tsukuba au Japon et le CERN. D’ailleurs, Tsukuba est l’équivalent japonais d’Akademgorodok de Novossibirsk », précise Pavel Krokovny.

Pavel Krokovny, chercheur à l’Institut de physique nucléaire. Photo de l'archive personnelle

L’hiver sibérien est, pour le physicien, le paradis des amateurs de ski : « La station et les pistes de ski sont à cinq minutes de mon travail. Si j’ai le temps pendant la pause déjeuner, je fais du ski », raconte M. Krokovny. En été, pendant les pauses, les chercheurs ont même le temps d’aller faire leur jardin.

Comme un air de liberté

Dans les années 60, de nombreux scientifiques ont mis le cap sur la Sibérie pour un exil volontaire à Akademgorodok – loin de la capitale du « pays des Soviets », dans la forêt sauvage. Ils y cherchaient la liberté intellectuelle, impensable alors dans d’autres coins du pays.

Les scientifiques de Moscou et Leningrad installaient leurs premiers laboratoires dans des boxes au milieu de la forêt et des chantiers. C’était une expérience étonnante dans un pays habitué à vivre selon des lois totalitaires.

Akademgorodok accueillait des concerts de chanteurs-compositeurs soviétiques persécutés. On y lisait ouvertement des livres interdits publiés en samizdat (publication clandestine, ndlr), dont Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov. La génétique, stigmatisée sous Staline comme une fausse science, y renaquit également.

Quand le renard se laisse apprivoiser

C’est à Akademgorodok que le généticien soviétique Dmitri Beliaïev matérialisa l’idée de domestication des animaux sauvages. Les chercheurs de l’Institut de biologie cellulaire et de génétique parvinrent à élever une race de renards apprivoisés dont le comportement rappelle celui des chiens. La pépinière de l’institut compte à ce jour plus de 50 générations de ces renards.

Aujourd’hui, les animaux apprivoisés participent volontiers à des expositions et à des tournages. Toutefois, récemment, un renard a fui pendant un tournage et s’est perdu. La ville entière s’inquiète de son sort. Les recherches de l’animal sont toujours en cours, même si les chances de survie chez les individus génétiquement modifiés dans une mégapole sont très faibles.

Irina Moukhamedchina. Photo de l'archive personnelle

Il y a, toutefois, un espoir : « On voit parfois ses traces à Akademgorodok, donc le petit renard est vivant et se promène dans la forêt la nuit », raconte la maîtresse de l’animal Irina Moukhamedchina.    

Bandes dessinées biologiques

Les massifs forestiers occupent 70% du territoire d’Akademgorodok. La « rue la plus intelligente au monde » trône au milieu de ce règne de la nature. C’est sous cette formulation que l’avenue de l’académicien Lavrentiev est entrée dans le livre Guinness des records : 20 établissements scientifiques y sont concentrés sur 2,5 km.

Olga Posoukh travaille dans l’un de ces établissements, l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire. Olga se qualifie de loup-garou : le jour, elle est chercheuse, la nuit – artiste-illustratrice. Son travail est consacré à l’étude des fonctions de réplication des zones « silencieuses » du génome.

Dessin d'Olga Posoukh
Dessin d'Olga Posoukh
Dessin d'Olga Posoukh
Dessin d'Olga Posoukh
Dessin d'Olga Posoukh
Dessin d'Olga Posoukh
Dessin d'Olga Posoukh
Dessin d'Olga Posoukh
 
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Olga parvient à marier science et dessin. « Je fais des bandes dessinées de vulgarisation scientifique sur la biologie. J’ai découvert qu’en illustrant des informations scientifiques sérieuses avec des dessins fantaisistes on parvient à renforcer l’intérêt vis-à-vis de la science ». Récemment, Olga a lancé le projet Laboratoire d’animation scientifique, où elle fait des expériences scientifiques avec des enfants pour ensuite en réaliser des dessins animés.

Loin de Moscou est loin, près de l’innovation

« Akademgorodok a toutes les conditions pour faire de la recherche et développer des nouvelles technologies », estime Evgueni Pavlovsky, directeur du projet Big Data Analytics, développé par l’Université d’État de Novossibirsk. Chargé du développement de l’intelligence artificielle, il croit qu’elle peut être bénéfique pour l’homme et permettre une compréhension plus profonde du monde.

Aujourd’hui, les chercheurs sibériens sont toujours loin de Moscou, intellectuellement comme physiquement. Ils ont l’habitude de tout décider par eux-mêmes. « Nous n’attendons pas que l’État s’occupe de nous », explique Evgueni Pavlovsky.

Récemment, les chercheurs ont créé une patrouille étudiante visant à améliorer la sécurité des étudiants résidant sur le campus de l’université. En 2008, ils ont lancé un grand projet de construction de logements individuels pour les jeunes.

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