En Russie, un programme prédira les manifestations en scrutant les réseaux sociaux

Crédit : TASS

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Un système visant à prévoir les mouvements de protestation fonctionne en Russie depuis fin mai. Pour l’instant, il ne contrôle que le réseau social VKontakte, mais à partir de septembre prochain, il analysera les posts publiés sur Twitter puis sur Facebook.

Le nouveau système de suivi des manifestations a été lancé en Russie le 18 mai. Baptisé Démon de Laplace, il fait référence à une expérience de pensée datant du XIXe siècle. L’auteur du projet, qui n’est pas lié au pouvoir, est Evgueni Venediktov, directeur du Centre de recherche en légitimité et contestation politique. Le politologue ne cache pas que l’idée de lancer un tel système lui est venue à la suite des protestations et des affrontements armés sur la place Maïdan à Kiev fin 2013 – début 2014, ce qui a abouti au changement du pouvoir en Ukraine.

Beaucoup de « j’aime », et les gens descendent dans les rues

Selon les créateurs du système, ce dernier est essentiellement destiné aux chercheurs et aux forces de l’ordre. Toutefois, le Démon de Laplace intéresse d’ores et déjà les représentants des protestataires. « J’ai été contacté par un homme qui s’est présenté comme chercheur, a indiqué Evgueni Venediktov. Mais j’ai vérifié sur les réseaux sociaux et j’ai découvert qu’il organisait lui-même des mouvements de protestation. »

Evgueni Venediktov ne prévoit pas de commercialiser la technologie ni d’assurer un libre-accès au système qui a été testé durant la dernière semaine. Le logiciel n’est capable de surveiller que certains groupes et pages d’utilisateurs, les données étant groupées dans une base unique par des bénévoles. Ces prochains mois, le système surveillera le réseau social russe VKontakte avant de s’attaquer à Twitter en septembre et à LiveJournal et Facebook plus tard.

« Twitter est le leader en matière de protestations dans le segment russophone, a poursuivi Evgueni Venediktov. A la différence des utilisateurs de VKontakte, ceux de Twitter ne se plient pas aux demandes du Service de contrôle des technologies informatiques et des médias d’effacer tel ou tel message et n’éliminent pas les posts à tendance extrémiste ».

D’après lui, le système suit « les anomalies de comportement » des utilisateurs, plus précisément le nombre de « j’aime » et de commentaires sous les messages. « Des études établissent clairement un lien entre la montée des protestations et l’augmentation de ces indices », a-t-il souligné.

L’apparition du nouveau système suscite la perplexité des représentants des groupes de protestation : « Il n’y a aucun besoin de nous surveiller, nous sommes ouverts et prêts au dialogue, a déclaré à RBTH Anna Stepanova, présidente de la section de RPR-PARNAS à Nijni Novgorod. Le monitorage, c’est un lien à sens unique. Les autorités obligent elles-mêmes les habitants à descendre dans les rues et provoquent une confrontation ouverte là où tout aurait pu être réglé par la négociation. »

Les autorités s’intéressent au Démon

Il existe également d’autres indices relevés par le nouveau système. Toujours selon Evgueni Venediktov, en créant les algorithmes, le Centre s’est appuyé sur les études de mathématiciens russes qui prouvent que les gens se rendront plus volontiers à un meeting s’ils se connaissent personnellement, et pas uniquement virtuellement.

« Par exemple, 80% des membres des groupes en ligne du Secteur droit (groupe nationaliste ukrainien – ndlr) se connaissent. Sur les réseaux sociaux russes, ce chiffre est pour l’instant beaucoup moins élevé et atteint seulement 15 à 20%, a-t-il fait remarquer. Plus nombreux ceux qui communiquent sur les réseaux se connaissent personnellement, plus intense est leur activité au quotidien. »

Le système surveillera trois types de groupes : orientés politiquement, de protestation sociale et les zones de débats locales réunissant les utilisateurs selon le principe géographique. Les forces de l’ordre russes surveillaient déjà l’activité de tels groupes et avaient recours, selon les experts, à des logiciels comme Semantic Archive.

« L’administration présidentielle et les ministères disposent de leurs propres systèmes et Evgueni Venediktov ne fait qu’essayer d’entrer sur ce marché lucratif », a constaté Andreï Soldatov, rédacteur du site Agentura.ru consacré aux services de renseignement. Cependant, les logiciels existants ont été mis au point pour surveiller l’information structurée, c’est-à-dire les médias. Pour traiter les réseaux sociaux, le système doit être relativement petit et orienté vers des tâches concrètes.

« Au début, mon objectif était purement scientifique : j’étudiais les processus politiques, a expliqué Evgueni Venediktov. Aujourd’hui, je comprends que le projet peut être mis au service de la société. »

Pour le moment, le Démon de Laplace n’a aucun lien avec le gouvernement, mais, d’après l’auteur du projet, les autorités russes s’y intéressent d’ores et déjà.

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