Depuis le mois de février, il est possible d’acheter de la nourriture en tubes dans un distributeur à Moscou.
Ekaterina TchipourenkoSituée à 3 km de la capitale russe, Izmaïlovo ne diffère en rien des autres villes de la région de Moscou, avec ses immeubles sur fond de routes déformées. Pourtant, un verger de pommiers bien soignés attire l’attention du visiteur à l’entrée de la localité. Juste en face, un bâtiment jaune de deux étages : c’est l’usine Biriouliovski, la seule entreprise de Russie qui fabrique des produits alimentaires destinés aux cosmonautes.
De la préparation à l’emballage des aliments, tout est réalisé à huis clos. Depuis le couloir, l’on voit, à travers des lucarnes pratiquées dans le mur, des femmes en blouses blanches placer dans des sachets transparents des pâtes et des champignons à l’aspect singulier, coupés en petits dés et déshydratés. Ce sont les déjeuners et les dîners des cosmonautes à bord de la Station spatiale internationale (ISS).
« Du milieu des années 1960 au milieu des années 1980, les aliments étaient emballés dans des tubes, raconte Viktor Dobrovolski, directeur de l’Institut des recherches de l’industrie d’aliments concentrés et de techniques alimentaires spéciales et chef du centre d’études de l’alimentation dans l’espace. Le premier homme qui a effectué un vol spatial, Youri Gagarine, emportait avec lui neuf produits en tubes : des potages et des jus de fruits. Il a été le premier à goûter de la nourriture en tube. »
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Depuis, l’art de se nourrir dans l’espace a sensiblement évolué. Dans la seconde moitié des années 1980, les scientifiques ont mis au point des produits lyophilisés et déshydratés, ce qui a permis de réduire le poids et le volume des aliments, indique-t-il.
L’apesanteur a pour effet de gommer le goût. Il est difficile de prévoir les changements des sensations gustatives d’un homme concret dans l’espace. Les uns peuvent constater que le sucré ne l’est pas du tout, alors que d’autres ne percevront pas le goût du sel. La raison de ce phénomène reste mystérieuse pour la médecine d’aujourd’hui.
La lyophilisation est réalisée à l’aide de la surgélation à une température de moins 70 degrés suivie d’une évaporation sous vide de la glace. Après être emballé, l’aliment se présente sous forme de petit sachet transparent contenant une portion miniature de nourriture. Ces produits conservent jusqu’à 97% de leurs propriétés nutritionnelles. Il est formellement interdit d’y ajouter des exhausteurs de goût, des colorants ou d’autres substances artificielles.
Les emballages servent de vaisselle aux cosmonautes. A l’aide d’une paille spéciale, ils y ajoutent une certaine quantité d’eau chaude ou froide afin que la nourriture reprenne sa forme initiale. Ensuite ils « pétrissent » le paquet et le laissent en attente de 7 à 10 minutes, le temps que l’aliment se rétablisse. Il ne reste plus qu’à couper le bord du sachet et à manger. L’emballage est passé sous presse et sorti de l’ISS à bord d’un cargo de l’espace.
Les cosmonautes consomment aussi des conserves, notamment de crabe, de saumon et d’esturgeon dans des boîtes en aluminium. Ces deux dernières années, ils ont même la chance de déguster du caviar. Ce dernier est soumis à un traitement thermique spécial, après quoi il peut être conservé dans l’espace pendant six mois.
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Toutes les matières premières pour l’industrie alimentaire spatiale sont exclusivement russes : le caviar vient de la région de Vologda où le poisson est élevé dans des fermes piscicoles, l’esturgeon arrive d’Astrakhan, les crabes sont fournis par les régions extrême-orientales, tandis que le pain et le fromage sont fabriqués par des entreprises moscovites.
En outre, chaque cargo de l’espace emporte des fruits et légumes frais, notamment des tomates, de l’ail, des oignons et des citrons. Avant leur voyage, ils sont traités avec une substance secrète unique en son genre, fait remarquer Viktor Dobrovolski. Après un tel traitement, les fruits et légumes frais peuvent se conserver à bord de l’ISS jusqu’à quarante jours sans perdre leur forme.
Les cosmonautes mangent quatre fois par jour : trois repas complets et un encas après l’entraînement ou des expériences compliquées. Leur ration alimentaire compte de 3 000 à 3 100 kilocalories.
Populariser la nourriture spatiale
Depuis le mois de février, les Moscovites et les visiteurs de la capitale russe ont la possibilité d’acheter de la nourriture en tubes dans un distributeur installé au Centre des expositions de Russie. Pour 300 roubles (environ 5 euros d’après le cours du 8 avril), on peut choisir un tube de borchtch, de viande de mouton à la marinade ou de viande de porc aux légumes, en tout douze plats. Durant la prochaine année, il est prévu d’installer quelque 200 distributeurs de ce genre dans la ville.
Ce sont les médecins et les biologistes qui définissent la quantité de protéines, de lipides, de glucides, de macro- et oligoéléments devant constituer chaque portion et qui vérifient les aliments au sujet de leur teneur en pesticides, sels de minéraux lourds et autres éléments toxiques.
Avant de figurer au menu d’un vaisseau spatial, les produits sont dégustés par les cosmonautes qui doivent les évaluer sur une échelle de 1 à 9. Ainsi, les aliments qui totalisent 6 points et plus sont « admis », alors que ceux qui n’ont que 5 points et moins ne sont pas acceptés.
Les cosmonautes russes sont ravitaillés par la Russie, les astronautes américains par les Etats-Unis, chacun par son pays. Toutefois, s’ils le désirent, les Russes peuvent choisir des plats sur le menu américain et vice versa. « Les Américains raffolent de nos soupes et potages, comme le borchtch, le rassolnik (aux cornichons et à l’orge perlé), le khartcho (à la viande, à la tomate et au riz), ainsi que du fromage blanc, des conserves et du caviar », souligne Viktor Dobrovolski.
Le Nouvel an est toujours marqué par un repas de fête. Les cosmonautes passent leur commande d’avance. Ils demandent presque toujours ce qui est traditionnellement présent sur les tables des Russes : des cornichons et des mandarines. L’alcool est interdit dans l’espace, mais il est l’unique produit interdit. « Nous ne refusons rien aux cosmonautes. Ils sont très peu nombreux et il faut satisfaire leurs moindres caprices », explique-t-il.
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