Thomas Pesquet astronaute français de l’ESA à la cité des Étoiles

Crédit photo : Flickr/NASA

Crédit photo : Flickr/NASA

L’astronaute français Thomas Pesquet de l’Agence Spatiale Européenne s’entraîne actuellement à la cité des Étoiles à Moscou dans le cadre de sa préparation à un vol sur Soyouz et à un séjour de six mois sur l’ISS. Il a accepté de répondre à quelques questions.

Question : Comment se passe l’entrainement ?

Thomas Pesquet : L’entrainement se passe très bien mais c’est long. J’ai encore un peu plus de deux ans à faire à Houston et en Russie principalement, donc je reviendrai encore plusieurs fois ici avant le vol. Dans la capsule Soyouz, lors du vol, il y aura avec moi une Américaine et un Russe car Soyouz ne peut emporter que trois personnes. Nous irons rejoindre un Américain et deux Russes dans la station spatiale internationale. La mission durera à peu près 6 mois. Il y aura également des missions en 2015, en 2017 et 2019.

Que fait-on sur la station ?

TP : On utilisera à peu près 50% de notre temps à bord à faire des expériences scientifiques. Cela ne semble pas beaucoup vu d’ici mais quand on regarde tout ce qu’il y a d’autre à faire, en maintenance de la station, en logistique (pour que le laboratoire puisse bien fonctionner,) en entretien physique car nous sommes tenus de faire deux heures de sport par jour pour ne pas perdre trop de masse osseuse et musculaire, les journées sont bien occupées.

Vous allez passer 6 mois à faire des expériences scientifiques alors ?

 TP : Oui, c’est cela. C’est l’autre aspect du métier d’astronaute. Les scientifiques restés au sol vont nous guider. Nous serons leurs mains et nous allons essayer de leur donner les meilleurs résultats possibles. Le troisième aspect du métier c’est que l’on est aussi mécanicien de l’espace. On va réparer ce qui tombe en panne donc sortir en Scaphandre, installer une caméra par exemple ou réparer des câbles.

Comment vit-on sur la station ?

TP : On se lave avec des lingettes humides pour bébé, on a du shampoing non liquide qui ne se rince pas. On l’essuie directement avec une serviette. Quand on se lave les dents, il faut cracher le dentifrice dans une serviette en papier qu’on jette ensuite. Dans l’espace tous les gestes de la vie quotidienne sont beaucoup plus compliqués. Comme on ne peut pas rincer sous l’eau, on se rase avec un rasoir électrique muni d’un aspirateur. De même pour la coupe des cheveux, les astronautes se coupent les cheveux entre eux avec une tondeuse couplée à un aspirateur sinon tous les cheveux partiraient dans l’air. De la même manière lorsqu’on s’endort la nuit il faut absolument avoir un ventilateur. Les astronautes ont chacun leur compartiment avec chacun leur ventilateur.

Pourquoi ?

 TP : Parce qu’en apesanteur il n’y a pas de convection. Les gaz ne se sédimentent pas dans l’apesanteur. Donc lorsqu’on respire dans l’espace on créer une bulle de carbone autour de soi. Sur terre le dioxyde de carbone se mélange dans l’air mais pas en apesanteur. Donc si on dormait sans ventilateur, on se réveillerait avec des maux de tête. Au pire, on pourrait imaginer qu’on s’empoisonne dans sa propre bulle de CO2. Le corps s’adapte à la vie en apesanteur à tous les niveaux. On fait deux heures de sport par jour parce qu’autrement au bout de 6 mois ou un an on aurait littéralement fondu en terme de masse musculaire en revenant sur terre. Les os eux-aussi deviennent très fragiles. Les éléments de l’oreille interne s’adaptent également. De même pour le cœur qui fonctionne avec moins de force en apesanteur. Au retour, il faut donc que le corps se réadapte à la pesanteur terrestre.

Vous êtes ingénieur et pilote. Pourquoi prend on souvent des pilotes pour être astronautes ?

TP : Pour les premiers vols spatiaux effectivement on prenait des pilotes tant du côté américain que russe parce qu’on ne savait pas du tout ce qu’on allait trouver là-haut et que l’on considérait qu’il fallait une grande résistance physique. On prenait donc des gens très résistants et plutôt petits car il fallait tenir dans la capsule. Des gens qui pouvaient retenir leur respiration pendant très longtemps car on ne savait pas ce qui allait se passer là-haut. Ensuite la sélection s’est ouverte à d’autres profils : des ingénieurs, des scientifiques, des médecins, quelques profils atypiques comme des plongeurs sous-marins, des enseignants. Nous en France, nous avons eu beaucoup de pilotes mais aussi Claudie Haigneré (scientifique), Jean-François Clervoy (ingénieur).

Dans la sélection à l’ESA nous sommes 6. Il y a 4 pilotes mais aussi 4 scientifiques car il y en a qui comptent double : ma collègue italienne est ingénieure et pilote et moi-même également ingénieur et pilote. Mais il y a toujours à peu près 50% de pilotes au profil un peu militaire et 50% de scientifiques (médecins ou ingénieurs).
Les missions étant désormais plus longues il est possible que les profils se diversifient à l’avenir.

Si on prend des pilotes c’est aussi parce qu’il faut parfois piloter ou réparer la station. La navette se pose comme un avion. En ce qui concerne la station, il faut s’y arrimer ou se désarrimer. On ne le fait pas parce qu’il n’y a pas de nécessité mais un vol Soyouz peut-être manuel de A à Z si nécessaire. La station spatiale et contrôlée depuis le sol mais la capsule Soyouz peut se piloter. Et le pilotage fait aussi partie de notre entrainement sur simulateur.

Avez-vous des appréhensions ?

TP : Pas vraiment. Il y a des choses pas forcément très agréables dans l’entrainement. On fait des stages de survie ici en janvier. On joue le scénario d’un retour sur terre qui se passe mal, on ne se pose pas à l’endroit prévu et les secours n’arrivent pas à nous retrouver pendant deux jours… Il faut donc se débrouiller tout seul pendant deux jours, deux jours et demi par -30° … On se sert de la toile du parachute pour construire un abri de fortune, on fait du feu… Ce genre d’entrainement, on est content de l’avoir fait mais on est aussi content quand c’est fini…

Je pense que la seule appréhension que l’on a tous, nous les astronautes, c’est de faire des erreurs. On s’entraine dix ans pour cela. On ne sait pas si l’on revolera ou pas dans l’espace. De l’autre côté il y a des scientifiques qui ont travaillé 20 ans dans leur laboratoire pour envoyer quelque chose dans l’espace et donc on a n’a pas envie de faire d’erreur soi-même. On se sent responsable de tout ce que les gens ont investi sur nous. On est super concentré, on se dit ce n’est pas le moment de se tromper de bouton.

L’environnement est absolument extrême, on est plus étanche que si l’on se trouvait dans la fosse des Mariannes. On est exposé à des températures de + 150° lorsqu’on est au soleil à -150° lorsqu’on est à l’ombre de l’autre côté de la terre. C’est vraiment l’environnement le plus hostile que l’on puisse imaginer. Il y a donc forcément des choses qui tombent en panne, qui cassent, qu’il faut réparer. Il a fallu faire plus ou moins de la couture sur les panneaux solaires. Il y a des astronautes en scaphandre qui sont allés réparer les panneaux solaires sachant qu’ils couraient un risque de prendre une décharge électrique de 150 volts. Il se passe ainsi des choses intéressantes mais très bien contrôlées parce qu’au sol il y a une toute une équipe professionnelle qui travaille et encadre.

Devenir astronaute : concours de circonstances ou rêve d’enfance ?

TP : Les deux. Il faut les deux. Il faut effectivement un concours de circonstances car en Europe on sélectionne des astronautes une fois tous les 15 ans à peu près. Donc déjà, il faut avoir le bon âge au bon moment. Ensuite, oui, c’est une passion parce qu’il faut remplir beaucoup de critères pour être sélectionné qui ne sont pas forcément ceux que l’on imagine. Moi, j’étais ingénieur et j’ai travaillé au CNES à Toulouse parce que je me passionnais pour le spatial. Je suis devenu pilote professionnel parce que je me passionnais aussi pour l’aéronautique en général. J’ai fait beaucoup de parachutisme, de plongée, pas en me disant que cela allait me permettre de devenir astronaute parce que je n’avais aucune idée de si j’allais avoir la chance de participer à une sélection au moment où j’aurais l’âge qui convenait et d’être sélectionné mais à la fin tout cela a compté dans la sélection. Il faut donc avoir la passion qui pousse à s’intéresser à ces choses-là, à bien travailler à l’école pour être scientifique, ingénieur ou pilote et puis, il faut le concours de circonstances qui veut qu’on ait le bon âge et puis qu’on passe les sélections.

Est-ce difficile de revenir sur terre quand on a pris autant de hauteur ?

TP : On voit souvent le même effet chez les gens qui reviennent après avoir pris un tel recul non seulement psychologiquement mais aussi physiquement. Les gens se rendent compte de manière très intense de la fragilité de notre planète, de la fragilité de la couche de l’atmosphère, de la vacuité des conflits ou des mauvaises priorités. On est finalement tous ensemble dans le même bateau Terre. Donc les gens qui voient cela de l’Espace, acquièrent en général une conscience écologique ou politique assez aigue et considèrent ensuite la Terre un peu comme un vaisseau spatial qui file dans le noir du Cosmos où il n’y a pas de vie. A bord de ce vaisseau spatial se trouve la vie et l’humanité dont on doit prendre soin, tous ensemble.

Source : site de l'ambassade de Frace à Moscou

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